(The Secret Lives of Baba Segi’s Wives, 2010)
Traduction : Isabelle Roy. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Bolanle a mené brillamment des études universitaires, mais malgré cela et au grand dam de sa mère, elle choisit de devenir la quatrième femme de Baba Segi, un homme peu cultivé, de 20 ans son ainé, qui a déjà 7 enfants. L’accueil des trois femmes à Bonlale sera glacial, et très vite les intrigues se succèdent. Bolanle va très vite comprendre que pour survivre, il faudra absolument qu’elle tombe enceinte et remplisse le rôle maternel attendu d’elle. Mais les mois passent et Bonanle n’arrive pas à enfanter.
Les mille secrets des femmes victimes et bourreaux :
Avec un ton presque sombre, ce beau roman vire par moments au vaudeville tragicomique, plus par l’exagération un peu grand-guignolesque de certains éléments de l’intrigue, que par un sens de l’humour vraiment poussé. Dans cet huis-clos avec ces femmes toujours à couteau tirés, l’hypocrisie et les coups-bas deviennent monnaie courante. Une certaine prédictibilité des rebondissements ne nuit pas au déroulement du roman, qui bénéficie d’une narration polyphonique : Chaque chapitre cède le rôle de narrateur à un des personnages, qui va nous raconter, à la première personne, son passé et sa vision de la situation actuelle.
Sans aucun doute le sujet principal du roman est la critique de la polygamie et des possibilités limitées réservées à la femme, seulement décrite et acceptée dans son rôle maternel. Dans cette maison où le patriarcat fait la loi, la femme a très peu de marge de manœuvre et aucune possibilité d’épanouissement. Bonanle est en plus une femme instruite, ce qui crée un fossé infranchissable entre elle et le reste de la maisonnée. Aux fins de l’éjecter du foyer, les stratégies de ces épouses soumises à leur mari sombreront dans un côté perfide, mais Shoneyin prend soin d’attribuer une certaine lumière de rédemption à chacune de ses épouses, à l’appui de leurs histoires passés et leurs secrets. Moitié victimes et moitié bourreaux, les femmes protagonistes de cette histoire ont des caractères bien marquées, développés avec tendresse et soin, malgré les ombres de leur face cachée.
Sans spoiler, secret après secret, le roman finit pour emboîter toutes ses pièces mais, au-delà de cette intrigue parfois rocambolesque, le plus grand atout du livre réside dans le portrait de ces femmes poussées à l’extrême du désespoir pour conserver leurs maigres parcelles de pouvoir et de liberté.
Très beau premier roman, qui se lit avec aisance et facilité. Écrivaine à suivre.
Citation :
« Les enfants n’ont pas su dissimuler leur déception en me voyant, mais Baba Segi n’a semblé rien remarquer. Il a bombé le torse et a demandé à l’assemblée de saluer leur nouvelle tatie. Les filles ont exécuté une révérence brusque et les garçons m’ont adressé un rapide salut. “Baba Segi, ils tiennent tous de toi, trait pour trait”, ai-je dit. »
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