(2018)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Ndéné Gueye, professeur de français à la fac de lettres, est bouleversé par un vidéo devenu viral : Une foule d’hommes en colère se rendent au cimetière pour déterrer le cadavre d’un homme accusé d’homosexualité. Les images sont crues et violentes et le vidéo embrasse le pays, en proie à une vague d’homophobie. Ndéné Gueye, interpellé par les images, souhaite savoir qui était ce garçon à qui on lui a interdit même la sépulture, et cherche sa famille. Souhaitant comprendre, sa quête obsédante va lui mener jusqu’à l’ébranlement de toutes ses convictions.
Roman courageux et fort :
Mohamed Mbougar Sarr écrit ce merveilleux et émouvant livre à seulement 28 ans. Comme le personnage central du livre, Mbougar Sarr avait été témoin du vidéo décrit dans son adolescence, et il en a été bouleversé. Il aurait porté ce roman dans lui depuis ses années au lycée. Le Sénégal, jadis une démocratie relativement tolérante aux égards de l’homosexualité s’est embrassée à partir de 2008 dans une vague d’homophobie, suite à divers conflits et des violences faites aux homosexuels. Depuis, la situation du collectif LGBTQ+ est de plus en plus précaire. Selon les mots du l’auteur : « En somme, un bon homosexuel au Sénégal est soit un homosexuel qui se cache, soit un amuseur public, soit un homosexuel mort ».
Donc nous voilà devant un livre très courageux, qui a déjà provoqué un énorme tollé dans ce pays à majorité musulmane et dont le propre président justifie l’interdiction de l’homosexualité presque comme une exception culturelle de son pays. Pour autant, il fut un temps qu’une certaine homosexualité était toléré et même respecté. Dans les paroles du propre écrivain : « En écrivant ce livre, j’ai rencontré des personnes qui m’ont parlé d’une époque où les goor-jigeen marchaient tranquillement dans la rue. Ce mot désignait un travesti, qui était peut-être homosexuel. Les goor-jigeen aidaient les femmes dans la préparation des cérémonies et des sabar, les fêtes traditionnelles. Ils étaient souvent les seuls à connaître des poèmes ou des paroles amusantes qui faisaient oublier aux gens la dureté de la vie. Les gens les aimaient pour cela et oubliaient qu’ils pouvaient aussi les détester profondément. »
Mais mis à part la valeur de ce livre comme à dénonciation sans appel de l’homophobie, les qualités littéraires de « De purs hommes » sont indéniables. Le style est sobre et direct mais pas exempt d’un certain phrasée poétique. Le récit à la première personne permet une plongée dans la psyché du personnage principal, la structure et la construction des chapitres est très bien ficelée, les personnages sont soignés et intéressants, et c’est dans leurs interactions qu’on trouve le moteur de l’intrigue.
Comme souvent dans les romans ‘à thèse’, chaque personnage représente une position par rapport au conflit central. L’homme qui hésite entre ce qu’il a toujours cru et sa nouvelle certitude de l’horreur de l’homophobie. L’amant qui ne juge pas, comprend et attend que l’autre comprenne aussi. L’activiste des droits, prête à tout risquer. Un secteur de la jeunesse très intolérant, qui ne supporte même pas parler de Verlaine dans un cours de Français. Le travesti exubérant mais très lucide qui participe dans les fêtes folkloriques. L’homosexuel caché qui accuse le mariage gay et le combat international LGBTQ+ d’être à l’origine de la flambée de l’homophobie. L’imam radical qui appelle au meurtre des homosexuels. Un autre imam un peu plus ouvert, mais quand même tiraillé par la question. Le père aimant mais intransigeant, qui se plie aux exigences de sa culture et sa religion. La marâtre, plus douce, disposée à continuer à aimer quoi qu’il arrive et à pardonner… Pardonner quoi ? on demande plusieurs fois dans le livre.
Attention, ce livre poignant ne ménage pas la réalité sociale des questions évoqués. L’horreur des crimes homophobes est montrée ici dans son absurde paroxysme et en toute sa cruauté, qui est malheureusement bien réel et actuel. Le roman nous parle du Sénégal, maintenant. En espérant de meilleurs jours pour l’homosexualité dans ce pays et ailleurs, on ne peut que saluer le brillant travail de Mbougar Sarr, qui, n’oublions pas, a énormément risqué en publiant ce roman dans son pays d’origine, où la question est un énorme tabou, et la médisance contre les gens qui simplement parlent de l’homosexualité, peut se cerner sur eux et détruire leurs vies.
Dénonciation très efficace de l’homophobie, ‘De purs hommes’ est un coup de poing en pleines tripes, l’œuvre singulière d’un écrivain de talent.
Citation :
« En la matière, les passions s’embrassent, et les sensibilités s‘exacerbent rapidement. Ce sont des questions qui touchent le cœur même des hommes, leur être profond, leur identité, leur histoire, leur héritage. Il ne faut pas l’ignorer ni le mépriser. Au contraire… »
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