(2006)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Troumaron, banlieue conflictuelle de Port Louis, en Île Maurice. Rongés par la misère, oubliés des institutions et même de leurs familles, quatre adolescents vivent un quotidien difficile, marqué par la violence, les drogues, la prostitution, et le manque d’espoir. Entre Sad, Clélio, Eve et Savita se tisse un jeu de chasse-croisées qui les approche chaque jour un peu plus d’un destin funeste.
Jeunesse perdue :
Comme souvent dans la littérature Mauriciens style ‘Tropique de la violence’ de Nathacha Appanah, on oublie totalement la carte postale touristique de l’Île. Ici, la réalité sociale, les difficultés d’adaptation et la violence du quotidien sont au cœur du récit. Pour décrypter ce climat explosif, Ananda Devi Nirsimloo se centre sur quatre personnages principaux très différents qui, à tour de rôle, prennent les règnes du récit à la première personne.
Dans cet univers où tous les personnages sont quelque part en détresse, Sad est peut-être le moins désespéré, son projet de vie sera porté par son talent littéraire, son admiration pour Rimbaud, et son amour inconditionnel pour Eve. Mais Eve vivote à la limite du désespoir, presque désengagée de sa propre vie, sabordant constamment son présent et son futur. Incapable de se prendre en main, Eve dérive dans une spirale descendante dont elle est malgré tout consciente. Sa copine Savita, plus pragmatique, essaie de lui montrer d’autres perspectives, mais ensemble, ces deux jeunes femmes semblent dériver inéluctablement vers la détresse sociale. Clélio, l’écorché-vif, assume totalement la violence du quotidien, n’attend rien de personne, et n’hésite pas à prendre son futur en main par n’importe quel moyen. Des amis et de la famille, ainsi que des professeurs du lycée que fréquentent ces jeunes, vont orbiter autour de ce complexe quadrangle, poussant ces jeunes vers le bord de l’abîme.
C’est un roman court qui prend un peu trop de temps pour présenter les personnages, l’ambiance et les situations, avant de plonger dans les enjeux narratifs. Je recommande de persévérer si vous n’arrivez pas à accrocher au début, car petit à petit les enjeux narratifs vont se déployer, l’intrigue prenant alors des allures de tragédie shakespearienne. L’écrivaine Mauricienne exhibe un français très poétique, d’une richesse lexical remarquable, regorgeant de phrases de sublime beauté que, à aucun moment, ne nous font pas perdre la perspective sociale et la dureté du récit. C’est le plus grand atout de ce roman : Malgré ce français splendide et sophistiqué, le ton reste crasseux, sombre et violent. Et très réel.
C’est beau par son style et dur par son contenu, le tout se complémentant parfaitement. Belle réussite.
Citation :
« Les mains des hommes prennent possession de vous avant même de vous avoir touchée. Dès que leur pensée se dirige vers vous, ils vous ont déjà possédée. Dire non est une insulte, puisque vous leur enlevez ce qu’ils ont déjà pris. »
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