Littérature des 5 continents : AfriqueNigeria

La Mort et l’écuyer du roi

Wole Soyinka

(Death and the King’s Horseman, 1975)
Traduction : Thierry Dubost. Langue d’origine : Yoruba/Anglais
⭐⭐⭐

Ce que raconte cette pièce de théâtre :

Nigeria, années 40. Le roi est mort. Selon la tradition yoruba, trente jours après la mort du roi, son chien, son cheval et son écuyer doivent être sacrifiés pour qu’ils puissent accompagner le roi défunt dans le chemin vers l’au-delà, aux fins d’éviter qu’il s’égare dans le passage entre les deux mondes. Elesin Oba, l’écuyer du roi, accepte son sort avec dignité, et il choisit une jeune femme pour son mariage, pendant qu’il se prépare pour le rituel de la mort.

Simon Pilkings, l’administrateur de la colonie britannique, incapable de comprendre le poids d’une telle tradition, se propose par tous les moyens d’empêcher la mort de l’écuyer.

Tragédie sur le mythe yoruba de la mort :

Basé sur des évènements réels arrivés en 1943 au Nigeria, ‘La mort et l’écuyer du roi’, est un des grands classiques du théâtre africain, et probablement l’œuvre que cimenta le prestige du futur lauréat du prix Nobel, premier africain noir à l’obtenir, en 1986. C’est une ouvre complexe qui oppose deux façons de concevoir le monde, critique l’administration arbitraire et le manque de compréhension des autorités blanches de la colonie, et surtout propose une réflexion profonde sur les traditions et mythes yoruba, et leur sensibilité par rapport à la mort.

Dans la préface de l’œuvre Soyinka lui-même met en garde le futur metteur en scène, contre la tentation de centrer la pièce sur le conflit colonial ou sur le dilemme de Pilkings (Capituler et permettre le sacrifice de Elesin ou bien se battre contre la tradition). Le rapport entre la modernité et la tradition dénoncé par la présence de la colonie n’est qu’un catalyseur pour le sujet principal : la transition entre le monde des vivants et la royaume des morts.

Avec un tel sujet, probablement cette pièce ne sera pas pour tout le monde, car ni le contenu ni le style ne sont pas faciles à saisir à la lecture. Il faudra sans doute l’apprécier sur la scène. ‘La mort et l’écuyer du roi’ présente deux niveaux différents de narration : D’un côté on trouve des scènes dans l’administration de la colonie qui fonctionnent avec une mécanique tragique assez classique, presque Shakespearienne, où Pilkings et sa femme Jane vont faire face à une tradition qu’il ne comprend pas. C’est beau, direct et puissant, et plus facilement compréhensible pour le lecteur lambda.

Mais le nœud de la pièce se joue dans d’autres scènes beaucoup moins accessibles, centrées sur le dernier jour d’Elesin Oba, l’écuyer du roi, qui approfondissent sur le rapport de la tradition yoruba avec la mort, d’une façon assez lyrique et onirique. C’est riche et très beau à niveau langage (la traduction de Thierry Dubost est superbe), mais aussi déroutant. Pour un lecteur pas averti, il y a un risque de décrochage (notamment lors du tout premier acte). On aurait besoin d’une production théâtrale qui sache prendre en charge les enjeux et complexités proposés par Soyinka. En attendant, il existe un film nigérien très fidèle à l’esprit de la pièce, réalisé en 2022 par Biyi Bandele, disponible sur la plateforme Netflix, qui développe de façon très visuelle ces parties qui restaient plus opaques dans le texte.

Malgré tous ces avertissements, l’œuvre n’est pas si perché que cela, même si quelques tirades puissent entrer dans le territoire métaphysique. Avec un style sobre mais de grande beauté, Soyinka nous propose une œuvre solide et complexe sur le passage sacré entre la vie et la mort.


Citation :

« La nuit n’est pas en paix, être fantomatique. Le monde n’est pas en paix. Tu as détruit la paix du monde à tout jamais. »

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