Littérature des 5 continents : AfriqueMaroc

La nuit sacrée

Tahar Ben Jelloun

(1987)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Une fille qui a été enlevé comme si c’était un garçon nommé Ahmed, est libérée à la mort de son père de ce stigma de masculinité imposé. Suite à cette dernière nuit du vivant de son père, où ils ont pu finalement parler, elle prendra le prénom Zahra, et pourra échapper de la maison et de ses sœurs méprisantes. Dans son errance se mélangent des séquences oniriques avec des chevaliers sauveurs, avec des scènes réelles assez brutales, dont un viol en pleine forêt.

Elle finira pour arriver dans un hammam, où après des nouvelles visions confuses, elle sera recueillie par la propriétaire et ramenée dans la maison de celle-ci où elle vit avec son frère aveugle. Entre les trois se tisse un lien complexe, double et parfois malsain.

Un étrange univers onirique et inquiétant :

Dans ce roman il y a une bonne quantité de passages oniriques, immiscés dans la réalité, qui nous font plonger dans l’univers un peu étrange de cette fille élevée comme garçon. Surtout au début du roman cela peut être déroutant, mais il faut savoir que petit à petit le roman va s’axer sur des situations plus concrètes et réelles.

Malheureusement j’ai lu ce roman sans avoir lu ‘L’enfant du sable’, roman de Tahar Ben Jelloun publié en 1985 dans lequel se narrait la première partie de la vie de cette fille nommée Ahmed. Au début j’ai été un peu dérouté car en plus les séquences oniriques commencent aussitôt. Mais c’est surtout dans la deuxième partie du roman quand le passé revient, que j’ai eu une sensation pas vraiment de manque d’information, mais plutôt de manque d’anticipation littéraire. Ce manque est bien sur comblé par le volet précèdent.

Donc, malgré qu’on annonce que le roman peut se lire indépendamment, je recommande chaudement de lire d’abord le premier volet du diptyque, ‘L’enfant du sable’.

En tout cas, ce n’est pas trop grave car les rebondissements et le déroulement linéaire de l’histoire ne sont pas ce qui est intéressant dans ce roman. C’est l’atmosphère mystérieuse, sensuel, inquiétante et mystique qui réussit à envouter au lecteur avec un charme étrange et profond. Notamment dans ce triangle particulier qui se formera avec Assise, la gérante du hammam et son frère Consul, un intellectuel aveugle, et qui mélangera une sensualité très particulière avec un côté malsain assumé.

Certains lecteurs peuvent être surpris par le ton désinvolte de certaines séquences (comme le viol qui est vécu plus comme une révélation que comme une agression, la tortueuse relation des deux frères, ou d’autres séquences que je ne veux pas spoiler). L’univers des visions et rêveries de notre protagoniste, ponctuera ces troubles tout le long du roman. Comme dans cette mer du liquide visqueux qui préfigure la semence de ses premiers ébats sexuels consentants. Personnellement ça m’a fait énormément penser à une certaine littérature japonaise, qui mélange parfois ce côté étrange au sensuel. J’ai trouvé des échos de Yukio Mishima, et aussi de certains romans de Jun’ichirō Tanizaki, comme ‘La clef’ ou ‘Les belles endormies’.

Le roman touche aussi toute une panoplie de sujets reliés à la société marocaine, comme la place des femmes, l’identité de genre, la corruption des institutions, la domination masculine, et la haine crée par la mauvaise interprétation des préceptes religieux.

Très intéressant roman, remplit de métaphores, symboles et suggestion de tout genre, pas toujours facile à saisir, et probablement pas pour tout le monde.

Prix Goncourt 1987.


Citation :

« …où que j’aille je n’aurai que des relations troubles, je ne rencontrerais que des gens étranges. J’étais fortement persuadée que cette famille ou plutôt ce couple m’était destiné. »

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