(2021)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Paris, 2018. Diégane Latyr Faye, écrivain sénégalais, retrouve la trace d’un livre mythique qu’il croyait disparu : ‘Le labyrinthe de l’inhumain’, écrit en 1938 par T. C Elimane. La publication avait connu un certain succès de critique et l’auteur avait même été renommé le « Rimbaud nègre ». Mais après quelques accusations de plagiat, ce fut un reversement complet, le livre fut retiré de la circulation et la piste de l’auteur se perdit. Diégane, fasciné par ce livre mystérieux et cet auteur maudit, se lance dans une complexe enquête littéraire à travers plusieurs pays, recoupant des témoignages directes et indirectes qui petit à petit vont éclairer la vie et l’œuvre de T. C. Elimane.
Enquête littéraire autour d’un auteur mystérieux :
Comme c’est le cas chez beaucoup des prix Goncourt, ‘La plus secrète mémoire des hommes’ risque de diviser les lecteurs. D’un côté son style recherché, exhibition lexicale incluse, peut fatiguer le lecteur lambda par un certain excès. Et, d’un autre côté, l’intrigue littéraire se construit à travers de témoignages rapportés indirectement, parfois moyennant des conversations qui s’emboîtent les unes dans les autres. Genre un personnage parle à un autre mais fait référence à une conversation qui s’est produite dans le passé et dans laquelle s’évoque encore une troisième conversation antérieure. Cette complexité structurale fait tomber le roman parfois dans une certaine confusion, le sujet des phrases changeant parfois d’un paragraphe à l’autre, sans qu’on sache exactement qui parle à chaque moment. Rien que le génial Vargas Llosa n’ait pas fait plein des fois auparavant, mais voilà, le résultat est que le livre peut être difficile à suivre pour certains lecteurs.
Au début du roman, la narration est prise en charge par Diégane Latyr Faye. Un certain nombrilisme commun à tous ces romans qui parlent de littérature, peut donner l’impression d’entre-soi, d’un livre érudit écrit à destination des critiques littéraires ou d’autres écrivains. Mais je recommande s’accrocher un peu car petit à petit d’autres narrateurs vont à tour de rôle reprendre les règnes du récit, et c’est là que le roman va devenir fascinant. La narration se fait foisonnante et les mystères commencent à s’éclaircir au même temps que des nouvelles énigmes se présentent.
Malgré tous ces éléments controversés qui peuvent faire difficile la lecture pour certains lecteurs, j’ai été complètement embarqué dans ce livre, auquel je pourrais faire seulement deux critiques : La première serait que le personnage qui déclenche l’enquête littéraire, Diégane, (peut être un alter ego de Mbougar Sarr ?) semble pas complètement abouti, limite vide. Sans doute les narrateurs qui reprennent le récit son beaucoup plus intéressants, et ouvrent la porte à tout un ensemble de personnages assez créatif et surprenant : Une écrivaine sénégalaise plutôt extravagante, une poétise haïtienne bien loufoque, des journalistes obsédés par le mystère Elimane, des critiques littéraires impitoyables, des éditeurs juifs persécutés par les nazis, des danseuses de charme, et puis toute la famille d’Elimane lui-même, composée par plusieurs personnages bien hauts-en-couleur.
Une deuxième critique serait ce ton provocateur qui l’auteur veut à tout prix insuffler dans le récit, comme si un roman qui n’arrive pas à perturber ne voudrait pas la peine. C’est dommage, parce que certaines scènes semblent sexualisées sans que cela ait un objectif littéraire particulier. Une femme qui offre ses seins à téter à un adulte, des soirées libertines, viols, prostitution… Un ensemble un peu scandaleux qui semble forcé et ne rajoute pas grande chose à la narration. En lien avec cette sexualisation, un étrange rebondissement fera sans doute hausser les sourcils de certains lecteurs, je n’en dis pas plus.
Peu importe, c’est quand même très beau et très prenant, et débordant d’inventivité. Cette intrigue polyphonique se déploie de façon complexe mais maitrisé, proposant un voyage vers le passé qui inclut plusieurs pays (France, Sénégal, Pays Bas, Argentine…) et plusieurs événements historiques (la colonisation de l’Afrique, la première et la deuxième guerre mondiale, les nazis, la shoah).
‘La plus secrète mémoire des hommes’ est dédié à l’écrivain malien Yambo Ouologuem, sans doute la source d’inspiration pour l’énigmatique personnage de T. C. Elimane. Ouologuem publie en 1968 ‘Le devoir de violence’, un roman aux multiples prix qui, comme ’Le labyrinthe de l’inhumain’, sera au centre d’un scandale suite à des accusations du plagiat et des critiques plus ou moins malhonnêtes, et finira par être retiré du marché. Totalement anéanti littérairement et personnellement, Ouologuem sombre dans l’oubli et le silence. Il rentrera discrètement en Mali où sa trace se perd. Certaines rumeurs indiquent même que l’écrivain maudit aurait pu devenir marabout, et la date de sa mort semble faire débat. ‘La plus secrète mémoire des hommes’ prend ces éléments comme à base à partir de laquelle construire une livre riche et complexe qui parle bien sûr de la création littéraire, mais aussi de la xénophobie, d’identité, du racisme, du colonialisme, de l’oubli, de l’amour, du désir, de la jalousie, de la vengeance, de la magie noire…
Prix Goncourt 2021.
Citation :
« Mais tout livre visant à l’absolu s’élit à l’échec ; et c’est dans la vision lucide de cet échec prochain que bat le cœur ardent de l’entreprise. Désir d’absolu, certitude de néant : voilà l’équation de la création. »
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