(The return, 2016)
Traduction : Agnès Desarthe. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce récit autobiographique :
Le diplomate Jaballa Matar s’oppose de plus en plus aux dérives dictatoriales du régime de Mouammar Kadhafi. Craignant pour sa vie, il est contraint de partir avec sa famille en exile, et il s’installe au Caire mais il continue d’agir pour mobiliser la communauté internationale contre la dictature de Kadhafi. Jaballa Matar sera enlevé en 1990, probablement avec la collaboration du gouvernement égyptien, et enfermé dans la prison de d’Abou Salim en Lybie. Les premières années de son emprisonnement, Jaballa Matar réussit à envoyer quelques lettres à sa famille de façon clandestine. Puis c’est le silence.
En 2011, la dictature de Kadhafi prend fin, les prisons ouvrent ses portes et les prisonniers politiques sont libérés, mais Jaballa Matar est reste toujours introuvable. Après plus de 20 ans de recherche et gestions acharnées pour retrouver sa trace, son fils, l’écrivain Hisham Matar, peut enfin rentrer en Lybie pour poursuivre son enquête sur le terrain, et faire le deuil de son géniteur. On craint que son père ne soit pas mort lors du massacre d’Abou Salim en juin 1996, dans lequel périrent 1270 prisonniers politiques.
Faire le deuil quand on n’en sait rien :
Le retour d’Hisham Matar en Lybie en 2012 après la mort de Kadhafi, est l’axe narratif autour duquel se structure ce roman autobiographique. C’est l’histoire d’un deuil impossible, car aucune information n’a été fournie malgré les inlassables recherches et demandes que Hisham Matar a entamé le long de plus de 20 ans. Presque toute son œuvre littéraire est centrée sur l’idée d’un père absent, enlevé par des raisons politiques. C’est le cas de son premier roman, le magnifique ‘Au pays des hommes’ (2006), de son deuxième ‘Anatomie d’une disparition’ (2011), et cela culmine dans ce récit autobiographique, ‘La terre qui les sépare’ (traduction invraisemblable pour ‘The return’), sorti en 2016 et récompensé par le Prix Pulitzer. Dans ce livre, Matar reconstruit la figure paternelle disparue, au même temps qu’il essaie de donner une clôture à son processus de deuil.
Car le drame de Matar et sa famille est la désinformation, dérivée des années de corruption et des délicats équilibre politiques qui ont suivi la dictature. Grâce aux ONGs, à la pression dans les media d’Hisham Matar, et à sa position d’écrivain respecté, le gouvernement britannique sera obligé de mettre timidement la pression, et entre les deux pays s’installe un conflit autour de la disparition de Jaballa Matar. Entre autres, Saïf Al-Islam Kadhafi, le fils de Kadhafi, pressenti pour le remplacer après la chute, deviendra un interlocuteur direct avec Hisham Matar, mais le chemin sera semé d’obstacles. La narration suivra le parcours de l’écrivain lors qu’il essaie de mettre de la lumière sur l’affaire, faisant des entretiens avec une multitude de témoins directes et indirectes de l’époque.
Grâce à un ton factuel, simple et directe, Hisham Matar esquive le piège de la surdose des émotions et évite sagement de trop tirer des ficelles dramatiques. Le récit est sobre et concis, et rien larmoyant malgré la dureté du sujet. Même si sur le papier il en est le protagoniste, l’écrivain se met en retrait, cédant le rôle central à son père Jaballa Matar, figure énigmatique dont il essaie de reconstruire le portrait. Parfois le récit peut paraître un peu froid, justement pour ce souci d’éviter les facilités dramatiques, mais il est toujours juste, prenant et on apprend énormément sur l’histoire de la Lybie : Les invasions italiennes, le royaume d’Idriss I, la dictature Kadhafi, sa chute et le vide de pouvoir qu’il entraina.
Totalement recommandable, même si personnellement je trouve peut-être plus émouvant son premier roman ‘Au pays des hommes’, qui traitait presque le même sujet mais d’une façon romancée.
Citation :
« Quand ton père a été disparu pour dix-neuf ans, ton souhait de le trouver égale ta peur de le trouver. Tu deviens la scène d’une honteuse bataille privée. » (Traduction improvisée)
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