(Die reuk van appels, 1993)
Traduction : Pierre Guglielmina. Langue d’origine : Afrikaans
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Afrique du Sud, 1973. Marnus a 10 ans et il vit dans une famille visiblement parfaite, côté blanc de l’apartheid sud-africain : Son père, général de l’armée, est un homme fort que Marnus aime et admire profondément. Sa mère est une ancienne chanteuse d’opéra de grande beauté, idéalisée par le garçon, et sa sœur, 17 ans, est un peu une adolescente rebelle. Marnus voit très souvent son meilleur ami Frikkie, qui est à l’école avec lui. Habitués à un monde bourgeois de glamour et de soirées mondaines, la famille reçoit souvent des invités de marque. Lorsqu’un général chilien arrive de façon clandestine, avec un nom d’emprunt, Mr. Smith, pour passer quelques jours avec eux, le garçon commence à se poser des questions. L’image idéalisée de sa famille commence à se fissurer et à dévoiler une face plus sombre.
Les ombres derrière la lumière :
L’odeur des pommes est un très beau roman, écrit en toute finesse et subtilité par un écrivain sud-africain, qui écrit principalement en afrikaans, langue d’origine germanique dérivée du Hollandais. C’est le récit d’une enfance apparemment idyllique avec quelques éléments autobiographiques, sa famille venant partiellement d’un exil depuis les nationalisations des terres des blancs en Tanganika (Actuel Tanzanie), et vivant en Afrique du Sud du côté privilégié de l’Apartheid. Mark Behr, en fin connaisseur du sujet, fait un critique sans appel de ce système abject de division entre les êtres humains, mais d’une façon sobre et vraiment très subtile, sans excessive dramatisation ni pathos.
Le point de vue est celui de l’enfant, qui découvre le monde des adultes, avec son lot des mystères et déceptions. Le racisme du quotidien est présent mais Marnus pose un regard innocent sur cette question, c’est un enfant qui croit naïvement à ce que ses parents lui disent. Sa mère dit : « Les Coloured sont comme ça. On ne peut jamais leur faire confiance. Après toutes ces années, pendant lesquelles vous leur avez donné un travail et un salaire décent, ils se retournent et vous poignardent dans le dos ». Mais après des phrases comme ça, la mère va montrer de la vraie compassion par les problèmes qui traverse la femme coloured qui fait le service à la maison. Les personnages ont des grosses failles mais ne sont pas unidimensionnels.
Marnus, comme la plupart des enfants de son âge, ne remet pas en question le point de vue de ses parents, mais sa sœur, plus âgée, oui. Et c’est à travers d’elle que les premiers doutes vont arriver, et qu’on entamera la déconstruction de ce récit blanc. C’est un bildungsroman, dans lequel le chemin d’apprentissage du garçon se fera au fur et à mesure que l’univers idéalisé de la famille s’écroule en miettes. L’image chrétienne de famille parfaite à la morale stricte contraste énormément avec le racisme quotidien et assumé des parents.
Attention aux spoilers qui circulent dans presque tous les commentaires autour de ce livre. Le long de la narration, on sent bien qu’il y a quelque chose de sinistre. Le ver qui niche dans la pomme. Une ombre qui s’étire et commence à émailler le visage de porcelaine de la famille et à ternir l’insouciance de Marnus à jamais. Je conseille vivement d’éviter trop lire sur ce roman car même en avançant les sujets de livre on va être un peu spoilés.
Roman très maitrisé, d’un rythme lent, avec une subtilité qui me fait penser au prix Nobel Kazuo Ishiguro, et qui réfléchit sur la bête qui sommeille dans chacun de nous. Mon seul vrai bémol c’est la série de flashforwards qui nous racontent la vie de Marnus quelques années plus tard, pendant la guerre d’Angola, et qui à mon sens n’apportent absolument rien au récit. Malgré cela et quelques longueurs, le roman est très abouti et fort, surtout dans le bouleversant tiers final.
Citation :
« …quand tous ces Noirs et ces Coloured vont se mettre à étudier, les choses ne vont plus être aussi faciles que maintenant. »
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