(2017)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Alger, 1936. Edmond Charlot, un jeune homme de 20 ans passionné de la littérature, cherche un petit local en centre-ville, avec l’intention de créer un lieu de partage qui permettrai l’achat, le prêt et l’échange de livres, aussi comme l’édition des œuvres des nouveaux écrivains prometteurs du bassin méditerranéen, comme le jeune Albert Camus. La librairie ‘Les vrais richesses’, le projet de sa vie, est née.
Alger, 2017. Ryad, un jeune étudiant de 20 ans, absolument désintéressé de la librairie, arrive en Alger pour valider un stage. Son objectif est de vider tous les meubles et les livres d’une vieille librairie du centre-ville. Il doit tout jeter et repeindre les lieux pour le préparer à installer une boutique dédiée à la vente des beignets. Dès son installation, il remarque devant la librairie, un vieil homme désœuvré qui suit tous ses mouvements. C’est le vieil Abdallah, qui gérait la librairie depuis la fin de l’époque de Charlot.
Entre livres et rêves, entre Alger et Paris :
C’est clair, le principal atout de ‘Nos richesses’ est cette double linéarité temporelle et ce parallélisme qui s’établit entre la vie de l’éditeur Edmond Charlot et le jeune Ryad. L’un passionné des livres, l’autre indifférent, mais tous les deux tiraillés entre Alger et Paris. À travers ces deux histoires séparées par 80 ans mais qui se déroulent au même endroit, la librairie ‘Les vrais Richesses’, Adimi propose une réflexion très lucide sur les liens conflictuels qui relient les deux pays et qui ont marqué plusieurs générations. L’enfance de la propre écrivaine, partagée entre Grenoble et Alger, lui a sans doute fourni les clés qui lui permettent de naviguer des sujets sensibles et très délicats avec autant d’aplomb que finesse. Le terrorisme, la participation des algériens dans l’armée française lors de la deuxième guerre mondiale, les guerres d’indépendance, et en général toute l’histoire récente de l’Algérie font partie intégrante du roman, sans jamais devenir le sujet principal.
Car le récit se centre sur le côté humain du personnage réel d’Edmond Charlot, éditeur très reconnu internationalement qui découvrit et publia les premières œuvres de toute une génération d’auteurs méditerranéens comme Albert Camus, Jules Roy, Albert Cossery ou Mohammed Dib. Né à Alger, Charlot créa, à seulement vingt ans, un espace mythique d’échange culturel au centre-ville d’Alger. Car la librairie ‘Les vrais richesses’ et la maison d’éditions Charlot ont bel et bien existé, ainsi que le roman de Jean Giono qui donne son titre à la librairie, et toutes les œuvres et écrivains cités dans le roman. Adimi a réalisé un travail de documentation extraordinaire autour de la figure de l’éditeur algérois, notamment dans la rédaction du journal de bord de Charlot qui ponctue ‘Nos richesses’ d’une note documentaire touchante et pleine de vraisemblabilité, même si ces textes sont écrits par Adimi.
La figure de l’éditeur algérois est teinte d’humanisme et de respect. Cet homme passionné des livres est dépeint comme un homme affable et généreux qui dédia sa vie entière à ce métier sans chercher à aucun moment la gloire personnelle ni la reconnaissance. Le roman retrace ses premiers exploits en matière d’édition (notamment ‘L’envers et l’endroit’, le premier Camus), les galères par la pénurie de papier, sa mobilisation pendant la guerre, le dur période d’après-guerre, la création d’un siège éditorial à Paris parmi le mépris, mais aussi la jalousie, des puissantes maisons d’édition cent pour cent françaises, et la concurrence déloyale et acharnée qui s’en suivit.
Le roman trouve son contrepoint dans la figure de Ryad, penchant en apparence opposé de Charlot, dans le temps modernes. Ryad est un jeune homme beaucoup plus dérouté, qui, à l’envers de Charlot, n’a pas un propos clair dans la vie. J’aurais aimé voir plus de travail psychologique sur le personnage de Ryad, mais l’ensemble de son arc narratif est très solide littérairement parlant. L’apprentissage de la valeur de l’endroit et de ses richesses, ainsi que le nouveau quotidien de Ryad à Alger, à côté du vieil Abdallah, seront clés dans l’évolution dramatique du roman. Magnifique réussite de cette écrivaine franco-algéroise, valeur montant à suivre.
Ici, un lien vers un entretien et documentaire qui retrace la vie d’Edmond Charlot.
Citations :
« Mon engagement doit être absolu. C’est ainsi que je conçois mon travail. L’écrivain doit écrire, l’éditeur doit donner vie aux livres. Je ne vois pas de limite à cette conception. La littérature est trop importante pour ne pas y consacrer tout mon temps. »
« -(…) tu aimes lire ?
-No. Tu sais, les livres et moi…
-Les livres et toi, quoi ?
-On ne s’aime pas beaucoup
-Les livres aiment tout le monde, petit crétin. »
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