Littérature des 5 continents : AfriqueCap-Vert

Nuit de vent

António Aurélio Gonçalves

(Noite de vento, 1951)
Traduction : Michel Laban. Langue d’origine : Portugais
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce recueil de nouvelles :

Ce volume réunit neuf nouvelles principalement centrées sur la condition féminine, situées à Mindelo, sur l’île de São Vicente, dans un paysage baigné par le soleil, bercé par la mer et balayé par le vent.

‘Nuit de vent’ : La première nouvelle qui donne titre au recueil se centre sur Virgilio qui s’éprend éperdument de la belle Nita, mais cet amour n’est pas réciproque, et la jeune femme se lance dans une autre relation, vouée à l’échec. Virgilio parvient convaincre la voluble Nita de vivre avec lui, mais le bonheur est de courte durée et l’indomptable Nita, se propose de reprendre à nouveau sa liberté.

Le vent se lève sur l’île :

C’est un merveilleux recueil, émouvant et fabuleusement bien écrit dans un style très classique (certains diraient désuet), caractérisé par la solidité de la narration, l’habilité pour la description et la perspicacité psychologique des portraits. Nous sommes dans le sillage de la tradition des maîtres de la littérature classique portugaise, notamment Eça de Queiroz. Effectivement l’ombre du génie portugais, auteur de ‘Le crime du Padre Amaro’ et ‘Les Maias’, semble clairement s’étendre sur le style de Gonçalves, et lui a insufflé le talent pour la profondeur psychologique et la construction de personnages vivants et pleins de nuances. L’auteur cap-verdien écrivit dans les années 30 un essai sur l’œuvre du maître portugais.

Je reste sur ma faim de lire quelque chose de plus long et développé de Gonçalves, un roman plutôt que des nouvelles, mais il ne semble pas avoir d’autres ouvrages de l’auteur disponibles en traduction, malgré son prestige et son talent indéniable. Je doute fort qu’on ne rattrape jamais ce retard de traduction, car Gonçalves semble avoir tombé dans l’oubli (ailleurs du Cap-Vert), mais au moins on dispose de ces 9 fantastiques nouvelles. J’en ai deux favorites :

Dans ‘La fille prodige’, Gonçalves réfléchit sur le dilemme entre répression et liberté. Le récit commence une nuit de fort vent. Chandinha, pauvre et défaite, avec la dignité au plus bas, hésite d’appeler à la maison de sa mère Na Lucinda. Ses moyens économiques épuisés, le temps de vivre à son aise et en liberté, loin de l’autorité maternelle, passant d’un homme à un autre et faisant ce qu’elle veut, tout semble belle et bien fini pour elle.

Dans ‘L’enterrement de nha Candinha Sena’ on trace de façon indirecte le portrait d’une femme charismatique, dans un récit baigné de nostalgie et de l’amour du pays. La jour de l’enterrement de nha Candinha Sena, beaucoup des personnes souhaiteraient être ailleurs, mais pour le narrateur, la figura de Candinha fut marquante. Les souvenirs de son enfance font surface et le relient avec cette dame tendre et maternelle, à qui il adorait rendre visite. La dame et l’enfant avaient tissé une belle complicité avant que le narrateur parte en exile à la recherche d’un avenir meilleur. De retour au Cap-Vert après un long périple à l’étranger, il ne retrouvera plus jamais le fil de ce souvenir nostalgique.

Le vent, présent dans la plupart des nouvelles, incarne souvent le changement ou le renouvellement, et se déchaine aux moments charniers de la narration. Très exceptionnellement, certains personnages apparaissent dans plusieurs nouvelles, comme l’inoubliable Biluca, jeune femme authentique, tempéramental et indomptable, qui deviendra, je n’en doute pas, une favorite des lecteurs. Les sujets du chômage et l’incapacité de trouver un emploi digne sont très présents dans ces histoires et contribuent à rajouter une lecture sociale à ce recueil. Cette précarité mène souvent à l’exile et à l’éclatement de la structure familial, dans cette quête d’un avenir meilleur hors des îles.

Mais le sujet principal est clairement celui de la femme. Derrière toutes les nouvelles il y a une réflexion sur la condition féminine et leurs possibilités restreintes d’épanouissement, notamment dans les couches les plus misérables de la population, qui surprend par la finesse et perspicacité d’une œuvre publiée en 1951 au Cap-Vert. Ces jeunes femmes sont souvent tiraillées entre leur soif de liberté et d’amusement, et le poids de la tradition et de la vertu. Très agréable surprise cette lecture douce et profonde, dotée d’une finesse et acuité remarquables. Une fantastique réussite.


Citation :

« (…) même dans ses bras, il ne l’avait jamais sentie entièrement à lui. Il avait persisté, espérant qu’elle finirait par se laisser convaincre. Il s’était obstiné à garder une femme qui, même déçue par un autre, en avait gardé l’empreinte. » (‘Nuit de vent’)

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