(Paradise, 1994)
Traduction : Anne-Cécile Padoux. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Tanzanie, début du XXe siècle. L’enfant Yusuf, douze ans, fils d’un hôtelier, est envoyé travailler chez le marchand Aziz, loin de sa ville, Kawa. Après ce voyage précipité, et sans comprendre trop le pourquoi ce soudain déménagement, l’enfant commencera à travailler dans la boutique d’Aziz, avec le vieux Khalil. Au début Yusuf ne sera pas trop conscient, mais petit à petit va réaliser que en réalité il a été vendu comme serviteur, pour payer une dette de son père.
Dans cette forme d’esclavage, le jeune et naïf Yusuf grandit et devient petit à petit un beau jeune homme. Yusuf sera envoyé dans une caravane commerciale pour marchander dans des endroits plutôt hostiles de l’Afrique centrale, avec tribus méconnues, animaux sauvages et peu de présence des colonisateurs. La caravane fera face à des vicissitudes et difficultés diverses. Ce voyage tumultueux sera révélateur et initiatique pour Yusuf.
Roman initiatique avec esclavage sans rébellion :
C’est un récit étrange, qui traite avec subtilité des sujets assez complexes, comme l’idée d’un esclavage presque déguisé en travail, l’abandon d’un enfant par ses parents dans le besoin, la situation des femmes en la Tanzanie musulmane du début de 20 siècle, et la transformation de l’Afrique à l’arrivée des premières vagues de colonisateurs.
Le récit se structure en trois parties assez distinctes. La vente de Yusuf et ses débuts comme serviteur dans la boutique de Aziz, puis la partie road trip avec la caravane, qui s’allonge le long d’une bonne moitié du livre, puis dans la troisième partie… je préfère ne pas spoiler, mais c’est ma partie favorite. C’est difficile d’empathiser avec Yusuf, qui est un personnage à mon sens assez peu défini. On sait que sa beauté et pureté gênent et troublent, il est espionne et jalousé à son insu, et les conflits lui arrivent malgré lui. Plutôt naïf et à côté de la plaque, il va finalement se trouver un peu de personnalité lorsque le récit évolue.
La relation contrastée entre Yusuf et Khalil et leur rapport face à leur dette de famille et à l’esclavage, semble donner une bonne structure au livre. Mais dans la partie centrale on dirait que Gurnah a voulu dériver vers le récit d’aventures tout simple, avec bien sûr un fond psychologique très marqué. Ce combat avec des locaux hostiles, des voleurs impitoyables et de la faune sauvage nous donne certaines séquences intéressantes en soi, mais un peu éloignées du sujet principal du livre, qui est à mon sens celui de la possession de l’individu. Mais c’est tout à fait probable que je n’aie pas saisi tous les calques cachés qui se trouvent dans ce roman complexe. Dans tous les cas, les meilleures pages du livre se trouvent lorsque les personnages réalisent avec amertume les options restreintes dérivés de l’absence d’une liberté minimale.
C’est un livre très subtil, élégant et profond, mais qui a quelques bonnes longueurs, notamment lors de la partie centrale, ce qui fait une lecture un peu ardue par moments. J’attends de lire d’autres œuvres du prix Nobel tanzanien (Par le plus grand des hasards, Gurnah décerna ce prix en Octobre 2021 lors que j’entamais le début du livre), mais pour l’instant je reste un peu mitigé.
Citation :
« Quand le moment du départ arriva, tout parut irréel à Yusuf. Il dit adieu à sa mère sur le seuil de la maison et suivit son père et son oncle jusqu’à la gare. Il portait son petit ballot contenant deux shorts, une chemise, un Coran et un vieux chapelet de grès. Il ne lui vint pas à l’esprit, ne fût-ce qu’un instant, qu’il serait peut-être séparé de ses parents pour longtemps ou même qu’il ne les reverrait jamais. Il n’avait pas pensé à demander quand il ne reviendrait ni pourquoi tout avait été décidé si soudainement. »
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