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Petit pays

Gaël Faye

(2016)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Bujumbura (Burundi), 1993. Gabriel est un enfant de 10 ans qui vit avec sa petite sœur Ana, son père, un français expatrié dans le pays, et sa mère Yvonne, rwandaise et tutsie, exilée au Burundi et ayant la nationalité française par son mariage. Son enfance se déroule dans l’insouciance, entre jeux et découvertes, avec ses 4 amis qui habitent la même impasse que lui, dans le quartier bourgeois de Kinanira.

Mais toute cette enfance idyllique commence à se fendiller suite aux mésententes entre ses parents, qui annoncent des crises beaucoup plus graves : La haine entre les ethnies Tutsies et Hutus s’est réveillée suite à l’instabilité politique, le Rwanda voisin bascule dans la guerre civil et l’horreur du génocide. Gabriel sera obligé de grandir plus tôt que prévu.

Le paradis perdu de notre enfance :

Bouleversant roman sur la perte de l’innocence, qui a des tons visiblement autobiographiques, l’écrivain Gaël Faye étant aussi né au Bujumbura, fils d’un français et d’une Rwandaise exilée au Burundi. Faye, à treize ans, dût s’exiler en France pour fuir du conflit Tutsi-Hutu. Selon le propre écrivain, Gäel n’est pas Gabriel, et les ressemblances se concentrent surtout dans la description nostalgique des saveurs et couleurs de cette enfance heureuse au Burundi. (« Non, ce n’est absolument pas mon histoire. Je n’ai pas vécu ce que le personnage traverse. Par contre, je l’ai mis à l’intersection de mes propres origines. Je lui ai donné les interrogations qui moi-même m’ont traversé également »).

Le contexte historique s’immisce petit à petit dans le roman, en le teintant d’un voile de plus en plus sombre, déchirant ce havre de paix et insouciance de l’enfance. Le conflit est extrêmement complexe et les origines remontent à bien plus tôt dans l’histoire du Rwanda et du Burundi, mais le livre fait un effort assez travaillé et intelligent pour nos présenter les enjeux majeurs et les évènements qui sont survenus dans les années 90, d’une façon assez compréhensible et factuelle, sans aucun parti pris évident. Cependant, lire un peu sur le conflit, si vous ne le connaissez pas assez, peut-être un atout majeur dans la lecture.

Dans le livre on assiste à la première élection d’un président Hutu au Burundi, aux vieilles haines qui se réveillent entre les ethnies, à l’assassinat des deux présidents du Rwanda et du Burundi, aux débuts de la guerre civile au Rwanda et le déclenchement de la chasse au Tutsi qui deviendra un des génocides le plus effroyables de l’histoire récent de l’Afrique.

Le conflit Tutsi-Hutu entre dans le récit à travers des quelques bribes que Gabriel arrive à capter de façon éparse, son père ne voulant pas trop expliquer. Dans une séquence paradoxalement touchante ce père aimant explique ce conflit entre ethnies comme une simple question de nez différents (voir citation plus bas). Gabriel n’arrive jamais à comprendre ce qui se passe, jusqu’à que la réalité commence à le rattraper. Des évènements isolés, comme une bagarre entre deux élevés au collège, commencent à lui donner les clés pour comprendre qu’il y a quelque chose trouble qui est en train de se passer. Petit à petit, la violence s’installe dans leur quotidien, et tout le monde est forcé à choisir son camp. Mais Gabriel essayera de toutes ses forces de ne pas tomber dans la haine des Hutus, comme on attendrait d’un Tutsi, et de rester équidistant face à ce conflit qui refuse de comprendre.

Je ne connaissais pas trop la carrière de rappeur de l’écrivain, mais l’énorme succès du livre avait attiré mon attention, surtout que je voulais lire quelque chose sur le Rwanda et le Burundi. C’est un fabuleux et émouvant premier roman, qui ne tombe jamais dans le pathos, malgré les événements dramatiques dépeints. Le sujet n’est pas du tout la guerre ni le conflit mais surtout ce gâchis colossal d’une enfance heureuse, la perte du paradis à cause de la misère de l’être humain.

Prix Goncourt des lycéens 2016.


Citation :

« – La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire ?
– Non, ça n’est pas ça, ils ont le même pays.
– Alors… ils n’ont pas la même langue ?
– Si, ils parlent la même langue.
– Alors, ils n’ont pas le même dieu ?
– Si, ils ont le même dieu.
– Alors… pourquoi se font-ils la guerre ?
– Parce qu’ils n’ont pas le même nez.
La discussion s’était arrêtée là. C’était quand même étrange cette affaire. Je crois que Papa non plus n’y comprenait pas grand-chose. »

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