(Maps, 1986)
Traduction : Jacqueline Bardolph. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Kallafo, Ogaden. Années 70s. Le Ogaden est une région habitée majoritairement pour la communauté somalienne, située dans le territoire officiellement Ethiopien, Misra, servante d’origine éthiopienne, adopte un bébé, Askar, qui trouve à côté du cadavre de sa mère. Askar développera une relation fusionnelle avec sa mère adoptive, qui s’interrompra avec l’éclatement de la guerre de l’Ogaden. Askar, à 8 ans, ira habiter à Mogadiscio chez des oncles, qui mènent une vie de modernité, dans un pays qui va payer les lourdes conséquences de la défaite militaire. Les années passent et la possibilité de retrouver Misra devient réel, sauf qu’elle est accusée de graves crimes de trahison au peuple Somalien.
La Somalie en quête de son identité :
Le thème le plus important du roman est la quête de l’identité. Le jeune Askar veut tout connaître de ses origines : Qui étaient ses parents biologiques ? Si sa mère adoptive est d’origine éthiopienne, peut-lui se considérer Somalien ? Né somalien dans un territoire éthiopien ; adopté par une mère éthiopienne, et habitant dans la capitale de la Somalie, Askar n’arrive pas à se trouver dans toutes ses cartes qui doit étudier à l’école. Cette quête de son identité est une métaphore de Somalie comme pays qui essaie de trouver son identité après la défaite dans la guerre de l’Ogaden, qui avait plongé le pays dans une grosse crise économique et identitaire.
Le contexte historique est expliqué le long du roman. Tout d’abord, et cela est souligné à plusieurs reprises par Farah, la Somalie n’est pas un concept de nationalité, mais un concept ethnique-culturel. Les Somaliens est un peuple divisé entre plusieurs pays : La Somalie, l’Éthiopie, l’Érythrée, le Djibouti et le nord du Kenya. Cette distinction entre le pays politique et le territoire ethnique permet de comprendre le sentiment d’appartenance que Askar va petit à petit développer.
La guerre de l’Ogaden opposa l’Éthiopie et la Somalie entre juillet 1977 et mars 1978, pour ce territoire somalien situé en Éthiopie, qui occupe la partie intérieure de la corne d’Afrique. Le rêve de la grand Somalie (concept propulsé par le britannique Ernest Bevin, cité dans le roman) reste vivant depuis la partition et après la colonisation. Au début du conflit, l’armée Somalienne, guidé par Siad Barre, envahit et prend très vite et très facilement control du territoire de l’Ogaden en chassant l’armée éthiopienne. Le conflit s’internationalise (on est en pleine guerre froide) et puis, la URSS, avec son allié Cuba, change de camp et joint les intérêts de l’Éthiopie, ce qui favorise le renversement complet de la situation, qui débouchera dans la victoire éthiopienne. C’est la désillusion. Des milliers de réfugiés Somaliens fuient vers l’est, vers les restes d’un pays qui, fondé sur l’idée désormais défunte de la grande Somalie, entre dans une crise profonde qui à terme, aboutira dans l’éclatement de l’état en 1991 (après l’écriture de ce roman donc).
La guerre de l’Ogaden provoquera une rupture totale entre l’enfant et sa mère adoptive. Cela marquera l’entrée d’Askar dans l’âge adulte. Le couple qui accueille Askar pendant la guerre, Hilaal et Salaado, représentent les intellectuelles Somaliens de la modernité. Couple très atypique que casse tous les préjugés qu’on pourrait s’imaginer dans un pays musulman comme la Somalie. La femme, Salaado est une femme libérée qui travaille, conduit et prend ses décisions. Hilaal est un homme au foyer, qui s’occupe de sa femme et se laisse porter en voiture par elle. C’est à travers les discussions avec Hillaal, que Askar va prendre conscience de son identité somalienne et que le lecteur va apprendre tout sur la guerre de l’Ogaden.
Le style de Farah est riche, les phrases ont des tournures sophistiquées, avec un langage plein de poésie, de symbolisme et des métaphores. La linéarité est brisée par des fréquents aller-retours dans le passé, on est devant les souvenirs désordonnés d’Askar adulte, juste avant de retrouver Misra. Le livre est principalement narré à la troisième personne, mais les chapitres au début de chaque partie sont narrés à la deuxième personne, et puis un chapitre additionnel à la première personne, probablement pour renforcer cette idée de la quête de l’identité. Tiraillé entre sa patrie et sa mère adoptive, Askar se trouvera dans une équation à solution difficile.
Malgré quelques répétitions et longueurs le livre est très bien écrit et l’émotion est palpable, en toute retenue. Si vous cherchez à lire un livre Somalien, c’est probablement votre meilleur choix, car en plus de connaître un écrivain très intéressant (Pressenti plusieurs fois pour le prix Nobel) vous apprendrez énormément des choses sur la Somalie, pays qu’on aborde rarement dans la littérature.
‘Territoires’ (‘Maps’) est le premier volume d’une trilogie, dont le titre est ‘Blood in the Sun’ (‘Du sang au soleil’), et qui se suit dans les romans ‘Dons’ (‘Gifts’, 1992) et ‘Secrets’ (1998).
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