Littérature des 5 continents : AfriqueOuganda

The first woman

Jennifer Nansubuga Makumbi

(The first woman, 2020)
Traduction : Pas connue. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Nattetta, Uganda, 1975. Kirabo est une enfant inquiète, pleine de questions que personne ne semble vouloir répondre : Qui est ma mère ? Est-ce qu’elle vit encore ? Pourquoi elle m’a abandonnée ? Kirabo vit dans la maison du clan avec Miiro et Alikisa, ses grands-parents aimants et protecteurs. Occasionnellement ils reçoivent la visite de Tom, le père de Kirabo, homme d’affaires très occupé dont elle sait très peu, et qui vit à la capitale Kampala. Mais Kirabo veut savoir. Déjà très perturbée par son habilité pour quitter son corps et flotter au-dessus, Kirabo décide de rendre visite en cachette à la sorcière du village, Nsuuta, et lui poser toutes ses questions qui la taraudent. Nsuuta est une dame aveugle, qui est en froid avec la grand-mère de Kirabo par une ancienne querelle. Malgré une enfance commune les deux vieilles ne se parlent plus depuis plus de trente ans.

Où est ma mère ?

‘The first woman’, à ce jour (2022) sans traduction française connue, obtint en 2021 le prestigieux Jhalal prize, décerné aux œuvres des écrivains noirs en langue anglaise. C’est un bildungsroman ou roman d’apprentissage, qui suit Kirabo lors de son passage à l’âge adulte. La jeune fille traversera une complexe étape de découverte et quête de soi, notamment lors qu’elle commencera à déceler les mystères de son origine, quittera l’univers protégé de ses grands-parents et joindra la maison de son père Tom, pour faire des études en ville.

Un peu comme Kirabo, le Ouganda des débuts des années 80 est aussi un pays en pleine quête de lui-même. Idi Amin le dictateur a été finalement déchu et forcé à la fuite en exil, et ses habitants, notamment les femmes, peuvent se projeter dans un avenir plus juste et équilibré. Le roman retrace ce changement des mœurs de la société, tiraillée entre les traditions du passé et la modernité qui arrive à grand pas, avec des gros changements à l’horizon qui ne seront pas toujours faciles à maîtriser. La femme a été pendant des siècles soumise à l’autorité de l’homme, exclue des réunions de clan, ignorée dans les questions d’héritage, bannie de tout recherche de plaisir ou bonheur, et traitée en permanence comme un enfant sans droits. Cette soumission qui n’avait jamais été remise en cause, va voler en éclats : Notre héroïne, Kirabo, incarne cette nouvelle femme ougandaise qui revendique ses droits et qui prend en main sa vie.

Car on est clairement dans un roman rageusement féministe, une œuvre qui réfléchit avec intelligence et beaucoup de nuances, sur ce qui veut dire être femme en Afrique aujourd’hui. La ‘first woman’ du titre fait référence au mythe ougandais selon lequel la première femme aurait été contrainte de cacher son pouvoir et ses habilités et aurait sombré dans la soumission à l’homme, justement par peur que ses talents et capacités soulèvent la jalousie et la violence chez lui. Kirabo, selon Nsuuta, aurait retenu une partie de cet état féminin original qui a été perdu quand on a pris la femme originale et on l’a façonnée pour la faire plus compatible avec l’homme, dans une société complètement patriarcale. Kirabo prendra cette métaphore de la première femme comme à explication de son ressenti et ses étranges habilités, lui permettant de se construire et de devenir une femme déterminée et sure d’elle-même.

Un roman brillant, très bien structuré, qui dévoilera ses mystères à petite doses, d’abord avec l’arrivée de Kirabo chez son père Tom, puis remontant dans le passé pour expliquer l’histoire de Alikisa, la grand-mère de Kirabo, et sa querelle légendaire avec Nsuuta. Le récit mélange le présent et le passé, mythe et réalité, tradition et modernité, avec maîtrise et un storyelling très solide et dynamique. Sur plusieurs générations l’histoire de cette large famille, dessine un tableau d’ensemble de la société Ougandaise face aux changements du monde moderne, et propose une intelligente refondation du féminisme africain, sans aucun tabou : Les droits et libertés des femmes, le plaisir et la sexualité féminine, ainsi comme le besoin de prendre une place prépondérante dans l’évolution de la société, sont sujets clé de ‘The first woman’.


Citation :

« L’amour est le sang qui choisit le sang. Rien à voir avec le cœur. Le cœur parle, tu peux raisonner avec lui. Mais le sang ? Le sang est inexorable. Une fois il a décidé, il a décidé. » (Traduction improvisée)

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