(2019)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce recueil de nouvelles :
Blanche, fille d’un français expat et d’une rwandaise Tutsi, est partie du Rwanda en 1994 pour échapper au génocide. Elle s’installe à Bordeaux d’où son père est originaire. Après quelques années, Blanche revient au Rwanda pour voir sa mère Immaculata et son demi-frère Bosco, qui ont survécu à l’horreur. La communication est difficile entre mère et fille et Bosco est revenu de la guerre mais sa santé mentale a clairement pris un coup. Blanche découvre qu’elle est enceinte de son petit ami antillais et mettra au monde un garçon, Stokely.
Nécessité de s’en souvenir versus besoin d’oublier :
Poignant récit sur la transmission culturel et la construction de l’identité face aux traumatismes et les non-dits, conséquences de la guerre et de génocide Rwandais. Sur trois générations, incarnés par Immaculata, sa fille Blanche et son grand fils Stokely, le roman réfléchit sur une situation presque impossible : La nécessité de s’en souvenir pour construire la propre identité, et le besoin d’oublier pour guérir ses blessures. Blanche est donc tiraillée par un dilemme complexe : Doit-elle répondre à toutes les inquiétudes de son fils par rapport à ses origines et son identité culturelle, ou bien ce sera mieux d’enterrer le passé Rwandais pour penser à un avenir cent pour cent français ?
Pour bien marquer ces trois générations sur lesquelles s’établit ce drame sur l’héritage culturel, Beata Umubyeyi Mairesse propose une narration appuyée sur trois voix. D’un côté, Blanche nous expliquera à la première personne sa vie en France et son ressenti par rapport à sa mère et au Rwanda. Elle s’adressera à sa mère à la deuxième personne, comme si elle lui écrivait une lettre. En parallèle, sur des chapitres alternés qui nous font aller en avant et en arrière dans le temps, la voix d’Immaculata s’adresse à son fils Bosco aussi à la deuxième personne, exprimant ses regrets et ses hésitations dans ce période trouble. Une troisième voix, celle du grand-fils Stokely, sera représentée à la troisième personne, ce que nous permettra de mettre en perspective les trois générations et de réfléchir sur l’avant et l’après traumatisme.
Une certaine compétition entre Blanche et son demi-frère Bosco, pour l’amour de leur mère s’installe et fait partie des enjeux du roman. Bosco est fils de deux Rwandais, tandis que Blanche est seulement à moitié Rwandaise. Cela permet une réflexion sur le métissage ethnique et culturelle. Blanche, métisse, fille d’un français, déjà pressentie par son propre prénom pour devenir française, aura un certain sentiment d’être exclue de cet amour lié à une identité ethnique plus forte.
La non-communication est un autre des sujets du roman, principalement représenté sur l’incapacité d’Immaculata à s’exprimer, conséquence des années de secrets et non-dits. Mais petit à petit la narration va nous donner la vision globale du conflit et fournir les clés d’un possible équilibre entre l’oubli et l’identité.
‘Tous tes enfants dispersés’, premier roman de son autrice, est écrit avec un langage souvent relevé mais accessible, riche en métaphores et poésie. Avec un phrasé recherché et évocateur, le récit se teint de nostalgie, et arrive à traiter les sujets le plus délicats avec la plus grande sensibilité. La voix est cédée principalement aux femmes dans ce conflit, en proposant une lecture moderne et profonde du féminisme. Belle réussite.
Citation :
« Le temps d’antan avait été déminé, chacune savait combien l’autre avait essayé, à sa façon avait fait de son mieux sans s’imposer la perfection. »
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