(2007)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Plage de Bandrakouni, Mayotte. Arrivé dans une kwassa (embarcation de fortune) procèdent des Comores, le nouveau-né Moïse sera adopté par Marie, une des infirmières de l’hôpital où les clandestins ont été dispatchés. Dans son pays d’origine son œil vert est le symptôme d’un djinn, un démon intérieur, mais pour sa mère adoptive cette hétérochromie ne représente aucun empêchement pour l’amour maternel.
En grandissant, soumis à des crises d’identité profondes, l’adolescent Moïse va faire quelques mauvaises rencontres, qui vont l’entrainer dans l’enfer des rues, dans un univers fortement marqué par la violence.
Le paradis et l’enfer dans une même île :
Le livre commence d’une façon plutôt positive nous présentant le courageux personnage de Marie, en survolant toute son existence d’une façon brillante en à peine quelques pages. Mais petit à petit, le récit va se noircir. Le narrateur change à chaque chapitre, le fils adoptif de Marie, Moïse, va prendre le relais, puis Bruce le caïd des rues, puis un médecin, puis un représentant d’une ONG, cinq en total. Cette narration polyphonique est sans doute le grand atout littéraire du livre. La multiplicité de perspectives issue de cet original dispositif élargit notre capacité de discernement, facilite la compréhension de cet univers impitoyable dans lequel évoluent nos personnages, grâce à ce contraste marqué entre les différentes voix.
Moïse, jeune noir adopté par une femme blanche, vit son enfance dans un confort auquel il ne se croyait pas prédestiné. Mais un accident fortuit accentue sa crise identitaire et le pousse dans une quête de soi hasardeuse (voir citation). Le jeune fera la mauvaise rencontre. Dès le départ le livre présente la conclusion dramatique des personnages, sans donner trop de précisions sur comment ils sont arrivés là. La narration partira habilement en arrière pour retracer leurs parcours, combler les trous de l’intrigue, et dessiner un portrait global pas seulement des personnages mais de l’ambiance général de l’île. Cet éclatement de la timeline n’a rien d’arbitraire, le procédé est encore une fois totalement justifié par le développement des enjeux narratifs.
Chronique d’une jeunesse en perte de repères, ‘Tropique de la violence’ est un roman qui mélange intelligemment une certaine poésie avec un réalisme assez cru. Mayotte reste quand même un département français, mais la misère court dans les rues et l’immigration clandestine provenant des Comores et de la côte africaine, a facilité l’apparition des énormes bidonvilles, comme le quartier appelé Gaza, où le jeune et dangereux Bruce, opère en guise de chef ultime des gangs de rue. Cette univers inquiétant et marginal plonge l’île paradisiaque dans un climat d’insécurité permanente.
Comme nous avons déjà évoqué, ce double mécanisme narratif (narration polyphonique et éclatement de la timeline) se déroule avec une maîtrise et précision remarquables. Sous la brillante plume d’Appanah, écrivaine totalement à suivre, ce récit cru et violent mais pas exempt de poésie, devient une œuvre aboutie et magnifique, autant par la sincérité et réalisme de son contenu, que par le talent et créativité de sa forme narrative. Excellent.
Citation :
« Peut-être que, si j’avais été plus fort, plus intelligent, j’aurais nagé jusqu’à un autre rivage et j’aurais essayé de vivre une autre vie, autrement, différemment. Mais pour les garçons comme moi qui ont toujours peur, qui ont vécu dans le tout et qui n’ont tout à coup rien, on retourne comme un agneau vers son prédateur. »
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