(1921)
Langue d’origine : Français
⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Oubangui-Chari, Centrafrique, sous la domination française au début du XXe siècle. Batouala est le patriarche de la tribu, homme respecté et craint qui mène un quotidien très simple, dans le respect des traditions. La chasse, les cérémonies, les fêtes au village, ses épouses. La jalousie de son rival Bissibi’ngui qui veut prendre la place de chef devient de plus en plus évidente, et commence à envenimer la situation et perturbe le calme, surtout lorsque Batouala réalise que sa première femme et favorite, Yassigui’ndja, s’approche de son rival. La présence de la colonie française dans la région ne facilite pas les choses et semble condamner leur mode de vie à la disparition.
Un noir qui travaille pour les blancs décrit la vie des noirs en Afrique :
Oui ce titre est un peu réducteur et je m’en excuse, mais il y a quelque chose de surprenant dans le travail et la figure de René Maran, un homme noir originaire des Antilles, qui après des études en France, est envoyé en représentation de l’administration coloniale dans différents postes de l’Afrique colonisée par la France. Dans les années 10 du XXe siècle, Maran fut assigné à la colonie de Oubangui-Chari, alors l’Afrique Équatoriale Française, maintenant la Centrafrique.
L’histoire de Batouala est le fruit de l’observation minutieuse des tribus qui habitaient la région, et de l’impact de la colonisation sur eux. Avec un regard étrangement détaché par moments, dans un ton qui mélange les envolés lyriques avec le documentaire, Maran nous offre un de premiers textes de ce qu’on appela ‘La négritude’, revendication d’une culture noire propre, distincte de la culture imposée par la colonie.
Contre toute attente, le roman fut récompensé par le Prix Goncourt en 1921, premier écrivain noir qui obtint le prix, ce qui provoqua un tollé dans la communauté littéraire française, agaçant les bienséants et les snobs qui trouvèrent cela trop cru, immoral et peu littéraire. La préface qui rajouta Maran à l’édition de 1938 rajouta encore une couche de plus dans la controverse, car il ne ménageait pas la critique de l’administration française, son obsession pour l’exploitation des communautés locales avec des travaux forcés et la captation des impôts insoutenables, ni les méfaits de l’attitude méprisante et clairement raciste des autorités de la colonie.
Autre la critique des abus de la colonie, le roman se centre sur la description des mœurs et traditions de la tribu. Notamment les rites de passage à l’âge adulte, comme la fête de la circoncision et l’excision (sigh…), qui finit dans l’ivresse et la frénésie sexuel, menant à une surprenante apothéose orgiastique dans la tribu. C’est osé pour un Goncourt de 1921. Derrière tout cela, Maran s’interroge sur le futur de cet univers ancestral qui semble s’écrouler face à un nouveau monde plus jeune qui arrive à toute vitesse.
Dans sa volonté de corriger cette vision du noir africain comme quelqu’un d’inférieur qui ne mérite pas le même respect, Maran rentre dans une description qui se veut réaliste de la vie dans cette contrée. Mais cette vision ne manque pas d’être aussi schématique par moments. Et attention, vue avec les yeux d’aujourd’hui, elle peut sembler surprenante, voir choquante. Même si on présente un univers dans lequel les femmes ont du désir et des élans amoureux propres, la polygamie est montrée comme quelque chose de souhaitable (regardez la deuxième citation dans laquelle Maran la justifie totalement), l’achat de la femme fait tout simplement partie des mœurs, et l’excision est décrite d’une façon désinvolte et sans la moindre critique. Il faut bien se poser à chaque fois pour se dire que ce roman a été quand même écrit il y a plus de 100 ans.
Avec sa préface qui rage contre les injustices de la colonie, et son témoignage de la réalité du terrain, le réquisitoire de Maran fit monter dans l’opinion publique le débat sur le côté inhumain de l’administration française. Face à l’accusation dont Maran fut victime de « mordre la main qui le nourri », plusieurs voix se levèrent pour le défendre, d’abord timidement, puis de façon plus affirmée. André Gide se rendit en Afrique et vérifia de sa propre vue que Maran n’avait fait que décrire la réalité de la colonie. Le roman devint ainsi le théâtre d’un règlement de comptes autour de la politique coloniale de la France.
Le violent témoignage de Maran ne visait pas seulement à dénoncer mais à changer les choses et à construire une administration coloniale plus juste et respectueuse des traditions des tribus de la région. Il ne dénonçait pas vraiment la colonisation elle-même, mais plutôt sa gestion peu respectueuse et ses abus. Maran Mourut en 1960, au moment où il sonnait le glas pour la colonisation française du continent.
Intéressant d’un point de vue historique, et remarquable pour tout ce que ce témoignage a signifié, ‘Batouala’ ne va pas trop loin d’un point de vue strictement littéraire, restant souvent trop descriptif, trop naïf ou trop schématique, sans proposer une vraie narration littéraire.
Citations :
“Batouala avait mille fois raison. On vivait heureux, jadis, avant la venue des « boundjous ». Travailler peu, et pour soi, manger, boire et Dormir.”
« Mais que devient le mari en tout cela ? Comment s’y prend-on, vu les exigences de sa nature, pour le désolidariser du tabou qui s’appesantit sur la jeune mère au lendemain de son accouchement ? On l’autorise, tout simplement, à annexer à son ménage initial autant de femmes qu’il en peut nourrir. »
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