(Augustown, 2016)
Traduction : Nathalie Carré. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Augustown, dans la banlieue pauvre de Kingston, 1982. La vieille Ma Taffy sent quelque chose dans l’air qui cloche. Malgré sa cécité, elle reconnait l’odeur de la catastrophe qui s’approche. Aujourd’hui, à l’école, le professeur Monsieur Saint-Joseph a coupé les dreadlocks de Kaia, son petit-fils. Cette agression, d’une violence inouïe dans la culture rastafari, a laissé l’enfant soumis dans la perplexité et la déroute. Pour calmer l’enfant, Ma Taffy lui explique l’étrange histoire de l’ascension dans le ciel d’Alexander Bedward, le prêcheur volant, évènement qui avait marqué Ma Taffy quand elle était petite fille.
Subtile puzzle littéraire autour de la culture rastafari :
‘Augustown’, absurdement traduit en français comme ‘By the rivers of Babylon’, est un merveilleux roman qui démarre doucement, mais qui petit à petit va nous envouter complètement, au fur et à mesure qu’il dévoile son jeu littéraire. Composé de petits chapitres, souvent centrés sur un personnage différent de l’histoire, le livre nous offre ainsi une vision polyédrique du récit qui se déroule. Les mêmes évènements sont ressassés par des personnages différents, multipliant les points de vue, en rajoutant différents optiques et sensibilités au conflit.
Couper les rastas d’un membre de la culture rastafari, relève de quelque chose du sacrilège, le fait qu’un professeur de l’école perpètre telle agression sur un enfant déclenchera toute une série de réactions qui seront expliquées de façon progressive : Certains chapitres se centreront sur Ma Taffy et la famille de l’enfant, puis sur le professeur lui-même, sur la directrice de l’école, et éventuellement sur toute la communauté d’Augustown.
Parce que c’est Augustown, comme son titre indiqué (le titre original bien sûr), le sujet central du livre. Cette communauté pauvre et noire d’Augustown, dans la banlieue de Kingston, toujours soumise aux abus et discriminations de la plus blanche population de la capitale (référée comme Babylone), sera présentée avec toute son idiosyncrasie, ses tournures de langage particulières, et sa réalité sociale. Le racisme est présent d’une façon jusqu’à un certain point lointaine mais insidieuse. Ce contraste entre classes sociales structure le conflit central du livre, pousse la réflexion, et établit un riche et profond débat sur les enjeux de la cohabitation entre communautés. La culture rastafari, à laquelle appartient le jeune Kaia et sa famille, est décryptée de façon très intelligente, immiscée dans le récit, façon que le lecteur lambda que je représente, apprenne énormément sur cette culture, sans se détourner une seule seconde des arcs narratifs des personnages ni de la progression de l’intrigue.
Un certain réalisme magique (terme que le propre roman refuse cependant dans une de ses pages), uni les personnages dans cette anticipation de ces quelques évènements singuliers du récit. L’envolée du Prêtre Bedward est le mythe créateur de la culture rastafari, et cette légende sera perçue de façon particulière par chacun de personnages impliqués. Le roman regorge d’une grande diversité de types humains, dans le présent et dans le passé. Des personnages extraordinairement bien décrits, très touchants et humains, qui seront montrés avec ses atouts et ses failles, sans aucun manichéisme.
Un subtil et court roman dont on ne s’attend pas forcément des merveilles au départ mais qui, petit à petit, captera notre attention par cette structure spirale que nous fait revenir sur les mêmes évènements, en rajoutant nouvelles couches et nuances. Un exercice brillant de littérature sans aucun côté prétentieux, rempli de poésie et émotion. Classe.
Citation :
« Il se repliait sur lui-même. Il était en train d’apprendre comment devenir effacé et maussade. Il était en train d’apprendre comment être battu. Et, une fois appris, c’était une leçon que Kaia trouverait impossible de désapprendre. »
0 Comments