Littérature des 5 continents : AmériqueBrésil

Capitaines des sables

Jorge Amado

(Capitães da areia, 1937)
Traduction :   Vanina.   Langue d’origine : Portugais (Brésilien)
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Salvador de Bahia. Dans un entrepôt abandonné du port de la ville, à demi enseveli dans une zone sablonneuse, les Capitaines des sables prennent refuge et quartier général. C’est une troupe nombreuse de gamins de rue qui vivent dans la marge, principalement de la mendicité, des vols et des arnaques. Ils connaissent à fond la ville, théâtre de ses aventures, et ne rêvent plus de s’intégrer en société. Forcés à vivre dans le monde impitoyable des rues, ces petits héros ont fait de la débrouillardise un art de vivre.

Picaresque brasileira :

Ce merveilleux roman est une déclaration de principes du jeune Amado (25 ans à l’époque), qui va solidifier son prestige comme ‘écrivain du peuple’, et préfigure son engagement vis-à-vis des idées communistes. Un travail profondément humaniste qui cède la parole aux laissés-pour-compte, et se positionne clairement dans la dénonce des injustices sociales sans jamais tomber dans le dogmatisme, grâce à un travail très nuancé sur la psychologie de ces enfants déchus, adultes malgré eux, chacun avec sa personnalité et ses traits de caractère, ses rêves et ses ambitions, ses misères et ses faiblesses.

Car le roman ne ménage pas leurs côtés les plus sombres, ni des moments durs de leur vie. Patte-Molle, Sucre d’orge, le Chat, le Professeur, S’là-Coule-douce, et leur chef Pedro Bala, ne sont pas du tout des anges. Sans surveillance adulte (exception faite de l’abbé José Pedro, seul adulte admis dans leur repère), ces enfants espiègles sont livrés à eux-mêmes, et dans leur monde, la frontière entre le bien et le mal est souvent sous le brouillard. Les viols sont monnaie courante (ils « renversent des négresses dans le sable » régulièrement. Attention, certains passages peuvent heurter des sensibilités dans notre époque), ils n’hésitent pas à arnaquer des vieilles dames qui s’apitoient de leur sort, et certains instincts violents ne sont pas tout le temps sous contrôle.

Malgré cela, le regard d’Amado se pose sur ces pícaros avec plein de tendresse et sensibilité. Il ne justifie pas leurs torts, mais les filtrera sous le prisme du manque d’amour et du vécu traumatique de leurs passés. L’écrivain souligne plutôt leur côté positif : la camaraderie, l’amitié, et leur cohésion dans la détresse. Parmi ce monde crasseux, habillés avec des sales haillons, la solidarité des Capitaines des sables leur donne une protection, un foyer, une identité, une famille.

C’est un roman choral, très descriptif au début dans la phase de présentation globale des personnages, qui petit à petit se centrera sur des anecdotes de vie des uns et des autres. Un chapitre racontera l’arnaque de Patte-Molle chez une vieille dame qui ayant perdu son enfant, s’entichera de lui comme un remplacement et lui comblera d’amour (Cet épisode aggravera la haine de soi qui hante Patte-Molle depuis son enfance). Puis la vocation vraie de l’abbé Pedro, qui s’entête à sauver leurs âmes en sacrifiant sa propre position dans l’église (institution critiquée principalement par son manque de morale et par sa hiérarchie corrompue).

L’arrivée de Dora, une innocente et gentille jeune fille, jouera un rôle ambivalent, entre l’amour sensuel et maternel (et humanisera le rapport brutal des Capitaines avec les femmes). Un autre chapitre se centrera sur le chef Pedro Bala et ses premiers contacts avec les grévistes et avec la mouvance communiste. Le récit de ces aventures un peu décousues se relie grâce à l’amitié et solidarité du groupe. Et aussi, un arc narratif global marquera une lente mais imparable progression vers une vie adulte, qui se dessine pleine d’incertitudes.

Du grand Amado.


Citation :

« L’abbé José Pedro disait que les pauvres, un jour, iraient dans le royaume des cieux où Dieu serait le même pour tous. Mais la jeune raison de Pedro Bala ne trouvait aucune justice là-dedans ; au royaume des cieux tous seraient égaux. Mais déjà sur la terre ils ne l’auraient pas été ; la balance, toujours penchait d’un côté. »

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