(Grande Sertão: Veredas, 1956)
Traduction : Maryvonne Lapouge-Pettorelli. Langue d’origine : Portugais (Brésilien)
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Brésil, fin du XIXe siècle. Le narrateur, Riobaldo, remémore ses jours comme jagunço (une sorte de cowboy brésilien) dans le sertão (Région des terres arides de l’intérieur du nord-est du Brésil). Parmi ses multiples aventures le récit se teint d’un romantisme extraordinaire lors qu’il apparait la figure fascinante et mystérieuse de Diadorim, un brave jagunço, dont Riobaldo tombe amoureux de façon irrésistible.
Western romantique en stream of consciousness :
Autant prévenir d’emblée, ce pavé (Plus de 900 pages) est assez laborieux à lire et n’est pas pour tout le monde. Déjà, le récit suit le fil de la pensée de Riobaldo, d’une seule traite, pas de chapitres, pas de pauses, il s’agit d’une logorrhée intarissable, complètement chaotique qui avance autant qui recule, sautant dans le temps et interpellant le lecteur comme bien lui chante au narrateur. Puis le style est aussi très changeant, mélangeant le poétique avec le familier, restant toujours très près du récit oral. La traductrice reconnaît avoir reçu directives laissées par Guimarães lui-même de respecter certaines incorrections grammaticales. J’ai été relativement accroché jusqu’à la moitié du livre, mais après j’ai trouvé pas mal de longueurs et redondances.
Après toutes ces mises en garde, ce classique incontournable de la littérature brésilienne est quand même un livre unique et très très très intéressant. Le livre englobe plusieurs livres ; D’un côté un récit d’aventures très masculin, qui respecte énormément les codes du western à la sauce US. En effet les jagunços sont la réponse brésilienne aux cowboys américains. Ils sont des sortes des hommes de main qui travaillent pour les grands propriétaires des terres de l’intérieur en gardant et transportant le bétail. Ils passent leur vie d’une exploitation à un autre, s’affrontant une fois et une autre entre les différentes factions de jagunços. Comme dans les westerns US, le livre progresse doucement vers un climax final qu’on imagine violent mais que je ne spoilerai pas.
Le roman est aussi une histoire d’amour absolue et puissante. Riobaldo est amoureux éperdument d’un homme, Diadorim, et il en parle ouvertement lors de ces presque 1000 pages où sa pensée divague le long de son passé. Le port d’attache de Riobaldo parmi tout le chaos de cette narration est sans doute l’étoile Diadorim, authentique idéal amoureux de Riobaldo. Le narrateur souhaite clairement plus, mais il combat toute tentation charnelle (voir citations), et préfère garder leur relation comme une amitié platonique, avec flirt et crises de jalousie incluses. Riobaldo a aussi des aventures amoureuses féminines et le long de livre la question de sa bisexualité restera toujours en arrière-pensée. La fin (que je ne spoilerais pas) est très forte et poétique, mais j’ai eu une petite déception, même si excusable pour un livre écrit en 1956. L’œuvre reste quand même assez osée pour son époque.
Entre aventures épiques et amour platonique, entre ‘Impitoyable’ et ‘Brokeback Mountain’, notre narrateur prend le temps de réfléchir sur la nature du bien et du mal et philosopher sur le côté spirituel de l’existence. Ce paysage aride des veredas du sertão fait écho à las divagations existentielles du protagoniste et les enrobe d’un fort ton mélancolique, qui accentue ce côté western crépusculaire.
Unique roman de Guimarães Rosa, ‘Diadorim’ est inclus fréquemment dans toutes les listes des classiques de la littérature universelle du XXe siècle. Mais soyez prévenus, malgré ces critiques dithyrambiques, ce n’est pas un livre aisé à lire, et il n’est probablement pas pour tout le monde.
Citations :
« Si Diadorim avait été là, simplement, cela aurait suffi à mon bonheur, je n’avais nulle envie de commenter les tirs et les combats, je ne désirais que le silence de sa présence. »
« Et soudain je lus clair en moi : ce qui détermina mon opinion était que, follement, je me suis mis à aimer Diadorim, tandis qu’en même temps, je me rétractais et balançais furieux, dans la mesure où ce n’était pas possible que je l’aime comme je le désirais dans l’honneur et jusqu’aux conséquences. Sa voix me retournait l’oreille. Au point que, au bout de toute cette exaltation, mon amour déborda jusqu’à imbiber tous les feuillages, et je souhaitais prendre Diadorim à plein corps, le soulever dans mes bras, l’embrasser, des cents et mille fois, toujours. »
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