Littérature des 5 continents : AmériqueBrésil

Don Casmurro et les yeux de ressac

Machado de Assis

(Dom Casmurro, 1899)
Traduction :   Anne-Marie Quint.   Langue d’origine : Portugais
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Rio de Janeiro. Bento Santiago, appelé Don Casmurro, avocat bourru et solitaire qui a dépassé la cinquantaine, remémore sa vie. Son enfance fut marquée par ses amours avec Capitou, fille des voisins née dans une famille moins favorisée. Autre la différence de classe, cette passion devra faire face à des difficultés majeures en rentrant dans l’adolescence, car sa mère, la veuve Dona Glória, lui rappellera la promesse qu’elle fit un jour à Dieu lorsque Bento était gravement malade : Si l’enfant récupérait la santé, Dona Glória le ferait devenir prêtre.

Mémoires d’un homme jaloux :

Comme tous les œuvres de Machado de Assis, ‘Dom Casmurro’ est un roman très original qui semble résolument moderne. Pas vraiment par son contenu, peut-être un peu daté notamment par rapport au rôle de la femme, mais plutôt par l’inventivité de son style. Le récit parle directement à « la lectrice », persuadé que seulement des femmes peuvent lire ces mémoires, mais soyez sans crainte, les qualités et subtilités du roman, son humour ironique et sa perspicacité psychologique rattrapent complètement ce petit côté désuet.

Le roman se déroule le long des nombreux chapitres très courts (Souvent une seule page, parfois un seul paragraphe), qui se lisent très aisément. Au moins deux tiers du roman sont dédiés à l’adolescence de Bento, son entrée dans les ordres pour accomplir la promesse de sa mère, et toutes les machinations de Bento et Capitou pour pouvoir sortir du séminaire et assouvir leur amour. Le dernier tiers avance beaucoup plus rapidement grâce à plusieurs ellipses. Il est dédié à la maturité du personnage centrale et approfondit sur sa rancune et les raisons qui ont provoqué ce sobriquet de Dom Casmurro, qui pourrait se traduire par Monsieur Bourru. Dévoré par la jalousie, Bento semble incapable de trouver l’apaisement dans son mariage, et, comme on sait dès le début de l’histoire, finira ses jours seul et plein d’amertume. En reliant les deux bouts de sa vie, son enfance et sa vieillesse, le roman réussi à présenter toutes les facettes et nuances du personnage.

Mais la subtilité et le plus gros atout du récit viennent de cette narration à la première personne de la part d’un homme obsessivement jaloux, auquel on n’est pas sûr de pouvoir faire confiance. Si on lit l’histoire sans se poser de questions la femme peut sembler coupable, mais il faut se rappeler que la jalousie domine progressivement notre narrateur et assombrit son discernement. Le lecteur sera témoin privilégié de ses préjugés, ses hésitations et ses tourments. Peut-on croire à sa version des faits ?

Comme dans ‘Mémoires posthumes de Brás Cubas’ le narrateur s’adresse en permanence au lecteur (lectrice dans ce cas-ci), interrompt le récit pur parler de l’organisation en chapitres du livre, pour anticiper ce qui va venir, expliquer certains choix narratifs, ou faire référence à d’autres textes, notamment le ‘Othello’ de Shakespeare, avec qui ‘Dom Casmurro’ partage le même thème. Ce jeu de métafiction (l’écrivain se décrit en train d’écrire) est une des marques de fabrique de Machado de Assis, mais en plus, le travail psychologique, le développement des personnages, la richesse du style et le phrasée poétique de ce roman sont absolument splendides.


Citation :

« (…) nos attitudes étaient opposées : elle cachait en parlant ce que je proclamais en gardant le silence. »

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