(Doña Bárbara, 1929)
Traduction : René L. F. Durand. Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Après ses études de Droit, le jeune Santos Luzardo revient chez lui dans les llanos vénézuéliens avec l’intention de vendre Altamira, les terres de son père, et partir ailleurs. Mais dès son arrivée il découvre que sa voisine Doña Bárbara, propriétaire du latifundio attenant appelé El miedo, a fait et défait la loi en son absence. Les limites des propriétés ont été modifiés et des bêtes ont été volées. Doña Bárbara est une impitoyable propriétaire sans morale ni loi, crainte de tous, qui achète juges, envoie ses sicaires et tyrannise employés, refaisant les lois à son bénéfice. Santos Luzardo, voyant le panorama et les terres de son père malmenées, décide de rester et se battre contre Dona Bárbara avec toute la force de la loi pour récupérer tout ce qui lui revient de droit. Mais très vite il va réaliser que la justice n’est pas forcement objective.
Feuilleton vénézuélien :
Grand classique par excellence de la littérature vénézuélienne du XXe, qui se lit très facilement par son intrigue feuilletonesque remplie des passions déchainées, action, violence et sentiments à foison. Si vous cherchez un livre avec finesse et émotion montrée en retenue, celui-là ne le fera pas. Mais c’est quand même un livre entrainant, passionnant, et superbement bien écrit, dans lequel le paysage des llanos vénézuéliens brille comme un personnage à part entière. On est subjugués par le dépaysement absolu qui nous propose ce récit remplit de folklore local, avec ces interminables extensions de terre, des marais mystérieux, ce bétail qui court en semi-liberté, des puissants chevaux sauvages, des superstitions, des fermes isolées et aussi des caïmans et serpents tout autour.
Ce combat entre une mentalité arriérée et corrompue, et la nouvelle approche plus juste et légale, est symbolisé par les deux personnages principaux : l’impitoyable Doña Bárbara représente la barbarie, la corruption et le passé, tandis que Santos Luzardo représente l’avenir, la justice et le progrès. Les personnages sont bien construits mais schématiques, symbolisant plutôt des positions et partis-pris face au conflit social.
Un troisième personnage, Marisela, fille délaissée de Doña Bárbara, s’immisce dans le récit pour symboliser l’idée d’un changement possible dans le pays. Le personnage est partiellement sauvage au début du roman, vivant dans des conditions déplorables dans une maison isolée avec son père alcoolique (Suite à une relation avec Doña Bárbara qui avait mal tourné), mais commencera son instruction et se trouvera tiraillée entre ces deux mondes, barbarie et civilisation. Elle participe aussi d’un triangle amoureux très feuilletonesque qui déclenchera une bonne partie de l’action du roman.
Par le personnage de Doña Bárbara, Gallegos critique et constate un état des lieux désolant dans son pays : La tyrannie et les abus de pouvoir des grands propriétaires des latifundios propitient l’exploitation des populations misérables, qui ne peuvent pas se tourner vers la loi pour réclamer justice, car la corruption des institutions est totale.
Le roman ne plut pas au dictateur Juan Vicente Gómez et Gallegos dut s’exiler en Espagne. À Barcelone, il dirigea un établissement scolaire pendant qu’il continua à écrire. Après la dictature il revint au pays, pour se lancer en politique. Il fut élu président de la république en 1948, entamant des grandes réformes qui devraient ramener la justice et la stabilité, pour se trouver renversé par un coup d’état la même année, et devoir s’exiler à nouveau.
Doña Bárbara est un merveilleux mélodrame passionnel avec ce paysage des plaines fascinantes en toile de fond, qui se laisse lire en toute facilité.
Citation :
« En effet, la supériorité de cette femme-là, son emprise sur les gens et la terreur qu’elle inspirait, semblaient résider particulièrement en savoir se taire et se garder. Inutile était de se proposer lui arracher un secret : De ses plans, personne ne savait jamais un seul mot ; dans ses vrais sentiments par rapport à quelqu’un, personne n’y pouvait pénétrer. Sa privacité était tout, même l’incertitude pérenne de la posséder vraiment : Quand le favori s’approchait à elle, il ne savait jamais à quoi s’attendre. Qui l’aimait, comme Lorenzo Barquero l’avait aimé, avait la vie par tourment. »
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