(El lobo, el bosque y el hombre nuevo, 1990)
Traduction : Marianne Millon. Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐
Ce que raconte cette nouvelle :
La Havane, 1979. Deux hommes complétement opposés se rencontrent chez le glacier Coppelia. David est un jeune étudiant des sciences humaines, originaire de province, hétérosexuel et membre des jeunesses communistes issues de la révolution. Diego est un homosexuel flamboyant de 30 ans, citadin intellectuel, croyant, bourgeois et cultivé, qui s’intéresse à l’art et la culture cubaine. Une amitié singulière va naître de cette rencontre improbable.
Amitié improbable :
Cette nouvelle est devenue un petit classique qui se lit dans les écoles cubaines, pas seulement par ses vertus littéraires mais aussi par la multiple réflexion qui propose l’auteur, autour de l’évolution des mœurs cubains après la révolution, et aussi autour de la censure et du dilemme entre art et propagande, entre vraie culture et culture soutenue par le régime.
Même si l’attraction de Diego par David est évidente, et de ce fait une palpable tension sexuelle parcourt la narration, la réalité est que cette confrontation entre deux personnages on ne peut plus opposés se déroule principalement dans le terrain des idées et de l’amitié sincère. David est un jeune révolutionnaire qui a pu réussir et faire des études grâce à la révolution. Il a une idée un peu naïve et arrêtée du communisme, et même au début du récit considère que Diego doit être dénoncé aux autorités de la révolution. Car Diego incarne tout ce qui la révolution déteste, la décadence bourgeoise, la religion, l’art, les gays. Mais Diego va s’ériger en une espèce de mentor de David et influencera la façon de penser du jeune étudiant, pour modeler cet homme nouveau qui devrait être le futur de la société cubaine.
Paz prône donc une idée positive du futur qui est destiné aux hommes et femmes cubains. Pour composer cette homme nouveau, l’écrivain propose en quelque sorte un mélange de Diego et de David, prenant les idéaux de justice et équité du premier, les mélangeant à la liberté, la créativité et l’inclusion incarnés par le second.
Le droit à la différence est un des sujets clés du roman, illustré par cette phrase : « ce n’est pas moi qui lâche la révolution, c’est elle qui m’exclue ». Ici, Diego, patriote et gay, souligne cette exclusion dont il se sent victime, par sa simple condition d’homosexuel. Pour construire le complexe personnage de Diego, la nouvelle l’accompagne de beaucoup de références culturelles cubaines (Alicia Alonso, Guillermo Cabrera Infante, Celia Cruz), et internationales (Callas, Alain Delon, Garcia Lorca), mais prend comme référence central le classique ‘Paradiso’ du maître cubain José Lezama Lima, œuvre révérée par Diego avec une passion qui souhaite transmettre à David.
Le récit suit les pensées de David, parfois presque en flux de conscience, façon qu’on voit clairement l’évolution de sa façon de penser. C’est une très belle, touchante et profonde nouvelle, dont le seul bémol serait un développement trop rapide des enjeux narratifs, dû au nombre de pages restreint. À mon sens, cela aurait été plus intéressant avec plus de pages et un développement plus conséquent, un peu dans la ligne de ce qu’il fil le propre Senel Paz lors de l’écriture du scénario de l’adaptation cinématographique, où le volet politique fut plus développé, ainsi comme l’entourage des deux personnages principaux.
En 1993, le film de de Tomás Gutierrez Aléa et Juan Carlos Tabío, écrit par le propre Senel Paz, fut couronnée d’un énorme succès mondial et obtint multiples récompenses, nomination à l’Oscar incluse. Le film aida à la popularité de la nouvelle, et les deux œuvres, se complémentant parfaitement, provoquèrent un bond en avant pour le combat des droits des homosexuels sur l’île et de la perception de l’univers LGBTQ+ en général.
Citation :
« (…) dès le début il eut l’intuition de notre amitié. Mais maintenant, tendu et muet au centre de sa tanière, j’étais tellement fade à ses yeux qu’il commença à se dire que, comme d’habitude, il avait été victime d’un mirage, de sa tendance à attribuer sensibilité et talent à tous ceux qui, comme moi, avaient une petite tête de c’était-pas-moi. Il était vraiment étonné et cela lui peinait de s’être trompé avec moi. J’étais sa dernière carte, le dernier qui lui restait à essayer avant de décider que tout était une merde et que Dieu s’était trompé (…) » (Traduction improvisée)
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