(Glosa, 1986)
Traduction : Laure Bataillon. Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Buenos Aires, le 23 octobre 1961. Par hasard Angel Léto rencontré le Mathématicien dans la rue. Ils avancent ensemble le long d’un peu plus de deux kilomètres. Lors de cette promenade ils évoqueront la fête d’anniversaire du poète Washington Noriega, qui a réuni une bonne partie de leur entourage, mais à laquelle aucun des deux n’a assisté, le Mathématicien étant à l’étranger et Léto n’ayant pas été invité.
Reconstruction d’une soirée par ouï-dire :
Effectivement, le long de leur vadrouille, Léto et le Mathématicien vont reconstruire le récit de ce qui s’est passé dans la fête de Washington, à partir des différentes versions disponibles des gens qui ont assisté. Donc les ouï-dire, les ragots et les récits approximatifs font que les vrais faits restent opaques et on n’aura qu’une version indirecte d’eux. L’arrivée de Tomatis dans la deuxième partie rajoutera une nouvelle dimension au récit car lui a vraiment assisté à la soirée. Sauf, que, comme les autres, sa version n’est peut-être pas complètement précise, car il rajoute, invente ou improvise sur les faits, déjà à moitié oubliés. Entre digressions et différentes versions contradictoires, le récit de ce qui est arrivé dans cette soirée a du mal à se construire.
Le parti pris est intéressant et très littéraire, car établit un rapport entre l’apparence de vérité créée par la mémoire, et le fait lui-même. Ce jeu sur la reconstruction d’un récit peut s’approcher à d’autres œuvres du boom latino-américain comme ‘Conversation dans la Cathédrale’ de Vargas LLosa, où deux personnages décryptaient quelques années de leurs vies le long d‘une conversation dans un café. Le seul souci à mon sens est que ce qui est arrivé dans cette soirée, n’a pas vraiment trop d’importance : On a raconté quelque chose sur un cheval qui tombe, puis une anecdote avec quelques mouches, puis quelques faits pas forcements intéressants en soi. Saer veut se concentrer sur la reconstruction du récit proprement, pas sur le récit lui-même.
Pour arriver à cela, la conversation de nos personnages se déroule le long de quarante-cinq minutes mais pour le lecteur ce temps va se rallonger. Saer va nous décrypter dans le moindre détail le ressenti et rapports non verbaux entre les personnages pendant qu’ils parlent. Un pas trop vite peut être perçu comme une hésitation, et une éclaboussure sur un pantalon comme un moment de faiblesse. Aussi chaque personnage pense aussi à d’autres choses pendant qu’il parle, comme le protagoniste Léto, qui est vivement impressionné par quelque chose qui a évoqué avec sa mère le matin même.
Globalement, le style est relativement sobre, mais on rencontrera un bon nombre d’envolés lyriques qui se déverseront sur de belles mais très longues phrases remplies de descriptions, subtilités et comparaisons métaphoriques (voir citation). Le récit part en avant en en arrière dans le temps, et souvent saute aussi vers le futur. Le livre est truffé de digressions qui vont compliquer davantage un récit déjà alambiqué. Ce n’est pas un livre prétentieux malgré tout, et la péripétie littéraire est sans doute intéressante et peut-être brillante, mais personnellement j’ai trouvé que la forme prenait beaucoup trop d’importance, et finalement le contenu était trop creux. Du coup le récit devient assez redondant, confus, vide et surtout, ennuyeux.
Un autre souci : Il n’y a presque pas de personnages féminins dans le roman et aucun d’eux n’a pas de vraie entité. Même, souvent les femmes dans le livre sont reliées à l’homme et à un rapport sexuel ou amoureux. Il y a des dizaines de personnages, mais presque aucune femme n’existe pas par elle-même dans le roman. Bouh.
Entre une chose et une autre, je ne recommanderai pas ‘Glose’, pourtant considéré un chef-d’œuvre de la littérature sud-américaine, mais à la place je proposerai sans hésiter un autre roman de Saer, ‘L’ancêtre’, qui est à mon sens, tout aussi créatif littérairement, mais beaucoup plus profond et réfléchi à niveaux psychologique. Ne négligez pas ‘L’ancêtre’ si ‘Glose’ ne vous convient pas. ‘Glose’ reste quand même un livre unique qui est encensé par certaines critiques, donc il est tout à fait possible que j’aie passé à côté d’une grande œuvre. Je vous laisse le découvrir.
Citation :
« Pendant quelques secondes, les deux jeunes gens, l’un bronzé, blond, grand, entièrement vêtu de blanc y compris les mocassins qu’il porte sans chaussettes, athlétique et massif, l’autre plutôt maigre, à lunettes, aux cheveux châtains abondants et bien peignés, dont on voit au premier coup d’œil que les vêtements sont de qualité moindre, demeurent silencieux à cinquante centimètres l’un de l’autre, sans froideur mais sans avoir non plus grand-chose à se dire, chacun plongé dans ses pensées comme dans un marécage intérieur qui contraste avec l’extérieur lumineux, et dont ils ne pourraient émerger que par un effort indescriptible, et où ils croient que l’autre ne risque pas de s’engluer ni jamais ne s’engluera, de par cette tendance à considérer ce qui nous est étranger à l’abri de nos impossibilités. »
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