Littérature des 5 continents : AmériqueCanada

La servante écarlate

Margaret Atwood

(The handsmaid’s tale, 1985)
Traduction :   Sylviane Rué.   Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Dans un futur dystopique, le taux de natalité a chuté à des niveaux trop bas pour assurer la continuité de l’espèce humaine. Très vite un nouvel ordre dictatorial s’installe. Dans le nouveau pays, la république de Gilead, la femme n’a plus des droits. Les femmes qui ont une minime prospection de fertilité vont devenir des esclaves sexuelles avec le seul et unique objectif de la reproduction. Dans ce contexte orwellien, Defred (Notre protagoniste s’appelle ainsi car désormais elle appartient à son maître, Fred) va nous raconter sa vie comme servante dans la maison de Fred, et la mélanger dans son récit à ses souvenirs de sa vie d’avant. On va apprendre qu’elle avait un mari, une fille et une petite vie heureuse. Defred va s’attacher à ses souvenirs pour ne pas sombrer dans la folie.

1984 en 1985 :

Atwood publié ce roman une année après que le roman d’Orwell, ‘1984’, était censé se produire. Les univers se ressemblent, les individus n’existent plus en tant que tels, tout est surveillé et contrôlé. Le lecteur a un accès privilégié à la pensée intérieure de la protagoniste, mais qui ne pourra en aucun cas être visible aux yeux de personne d’autre, car penser est, bien sûr, interdit.

On est ici donc, dans un récit à la première personne, une sorte de stream of consciousness d’une femme qui ne peut faire confiance à personne, ni parler à personne, ni regarder personne, mais qui cherche désespéramment à communiquer pour établir un lien avec celle qu’elle était avant.

La plupart des dystopies, prônent un futur dictatorial qui s’installe discrète et progressivement, sans faire des vagues, jusqu’à que c’est trop tard et l’individu est perdu dans l’engrenage du nouvel ordre. C’est le cas de « 1984 » d’Orwell ou de « Le complot contre l’Amérique » de Philip Roth. Ici, et c’est cela qui est paradoxal, un renversement complet s’est produit en quelques mois, sans qu’on n’ait pu rien faire pour l’éviter. En l’espace de quelques années le viol passe d’être un crime, à être institutionnalisé et même sacralisé, dans une cérémonie glaçante, aux allures sectaires.

Dans une séquence flashback hautement symbolique, notre protagoniste se trouve avec sa carte bleue bloquée, tout comme toutes les autres femmes, soi-disant provisoirement. Ce petit évènement fait tout basculer, du jour à lendemain, elle perd son indépendance, sa vie ne sera plus la même, la femme est niée en tant que telle. Très vite, les individus doivent faire semblant que tout est pour le mieux, qu’ils ont oublié leurs passés, qu’ils ne regrettent pas cette vie d’avant. Tout pour survivre. Mais le souvenir de l’époque précédente est trop récent et les conflits intérieurs de l’esprit ne vont pas tarder à percer ce nouveau univers lisse et sans tache.

Pour ceux qui ont regardé la magnifique série de télévision, seulement un avertissement. La Saison 1 suit plus ou moins les évènements du livre, mais les différences sont majeures dans le ton. Dans le monde, plus visuel, de la série, les personnages ont une certaine marge d’action, ils peuvent interagir, se regarder et même jusqu’à un certain point, penser. Dans le roman d’Atwood, l’introspection psychologique est totale, tout est beaucoup plus radical, plus angoissant et fermé, tout est interdit. Un exemple graphique. Les coiffes ailées qui ont les servantes ont une explication toute simple : Ces femmes sont comme des chevaux, elles ne doivent diriger leur regard que sur le sol devant soi. La femme n’a plus le droit de « regarder ». Dans une séquence merveilleuse (mais perturbatrice) au début du roman, Defred profite la distraction des gardiens pour lever le regard vers le ciel pendant un microseconde. Elle voit le ciel bleu entre les ailes de sa coiffe. Ce petit instant volé va avoir pour elle l’intoxicant goût de la liberté.

Parabole sur la condition féminine, inquiétant et révoltant, ce récit est merveilleusement bien écrit, dans un ton sobre et simple, et d’une efficacité redoutable.


Citation :

« Pour celles qui viendront après vous, ce sera plus facile. Elles accepteront leurs devoirs de bon cœur. Elle ne disait pas : parce qu’elles n’auront pas de souvenirs, de quoique ce soit d’autre. Elle disait : parce qu’elles ne désireront pas ce qu’elles ne peuvent pas avoir. »

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