Littérature des 5 continents : AmériqueGuadeloupe (France)

Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem

Maryse Condé

(1986)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Antilles, fin XVIIe siècle. À bord d’un bateau négrier, l’esclave Abena est violé par un marin anglais. Arrivés à la Barbade, la jeune femme met au monde une enfant métis, fruit de cet acte violent. Tituba grandit dans une plantation parmi des esclaves, et sera recueillie par Man Yan, une vieille femme excentrique qui lui montrera comment utiliser les plantes et d’autres étranges secrets.

Vendue par sa propriétaire au pasteur très conservateur Samuel Parris, Tituba et son compagnon John Indien le suivent jusqu’à Boston puis Salem, en US. Face à la société très puritaine du Massachusetts, Tituba sera accusée de participer à des actes de sorcellerie. C’est le début du procès des sorcières de Salem de 1692.

Femme, noire, esclave, sorcière… :

L’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, publie ‘Moi, Tituba sorcière Noire de Salem’ en 1986. Dans des éditions plus récentes le titre a été réduit à ‘Moi, Tituba sorcière…’. Le roman retrace la vie de Tituba, une femme qui exista vraiment et qui fut une des premières à être accusée parmi les sorcières de Salem en 1692. On sait peu de la vie de ce personnage réel avant et après Salem, mais Condé lui attribue une vie remplie d’évènements dramatiques, très reliée à ses racines antillaises. Le pasteur puritain Samuel Parris, ou d’autres accusées de sorcellerie comme Sarah Good et Sarah Osborne, existèrent aussi vraiment et ses personnages seront plus ou moins romancés.

En plus de ces personnages réels, Condé inclut le personnage fictif de Hester Prynne, protagoniste du classique ‘La lettre écarlate’ (1850) de Nathaniel Hawthorne, roman dramatique qui se déroulait à la même époque et au même endroit. Accusée d’adultère, condamnée à porter une honteuse ‘A’ bien visible, Hester s’érige en une espèce de conscience ou alter ego féministe de Tituba, provocant sa réflexion sur tout ce qui lui arrive.

Un certain réalisme magique très ancré dans la culture antillaise se repend tout le long des pages du livre. À travers la narration de Tituba, le roman passe en revue un bon nombre des mythes et légendes de l’occulte. Autres des potions magiques et des onguents guérisseurs, Tituba invoque régulièrement ses ancêtres et établit des conversations constantes avec les morts. Le mélange de Vodu caribéen et puritanisme américain provoque une série de contrastes très marqués. Malgré ce côté foisonnant, la narration se centre habilement sur un sujet principal qui est double : La condition de la femme noire en tant que femme et en tant que noire.

Le point de vue, comme il ne pouvait pas être autrement chez Condé, est radical sur certains points. Tous les hommes blancs sans exception (et pas mal d’hommes noirs aussi) sont des êtres abominables (Citation : « Les hommes n’aiment pas, ils possèdent et asservissent »). Seulement les hommes d’origine juive se sauvent du ce manichéisme assumé et sont un peu plus nuancés. Le roman fait une dénonciation sans ambages de la tyrannie de l’homme blanc, de l’esclavage, du racisme, et en général de la discrimination des noirs, considérés largement comme moins qu’humains à cette époque. C’est un traité de négritude des temps modernes, rempli autant d’amertume que d’intelligence.

Petit à petit Tituba va comprendre aussi que, en tant que femme en plus de noire, son lot de souffrances est beaucoup plus lourd à porter que celui des hommes, même aussi noirs et aussi esclaves qu’elle. Perplexe devant cette flagrante inégalité, l’apprentissage qu’elle tirera de cette découverte sera mitigé. Comme d’habitude cette écrivaine unique, elle assume complètement un certain nombre de partis pris qui peuvent surprendre le lecteur. Car Tituba renonce à la liberté par amour pas une mais deux fois. Citation : « Mais certains hommes qui ont l’habitude d’être faibles, nous donnent désir d’être esclaves ! ». Oui, cela n’est pas trop me too, mais n’oublions pas que le récit se déroule en 1692. Les choix de Tituba sont douteux, mais complexes et bien développés. Elle-même le dit (le récit est narré à la première personne), les hommes sont sa plus grande faiblesse.

Totalement recommandable si vous n’avez pas de soucis à comprendre les partis pris de l’écrivaine, même si vous ne les assumez pas. Avec son style poétique et réaliste à parts égales, souvent flamboyant mais toujours solide et juste, Condé propose une étude de la condition de la femme noire le long de l’histoire, dans une œuvre magnifique, créative et unique.


Citations :

« Il y avait cependant une chose que j’ignorais : la méchanceté est un don reçu en naissant. Il ne s’acquiert pas. Ceux d’entre nous qui ne sont pas venus au monde, armés d’ergots et de crocs, partent perdants dans tous les combats. »

 

« Ah ! Changer mon cœur ! En enduire les parois d’un venin de serpent. En faire le réceptacle de sentiments violents et amers. Aimer le mal ! Au lieu de cela, je ne sentais en moi que tendresse et compassion pour les déshérités, révolte devant l’injustice ! »

 

« La vérité arrive toujours trop tard, car elle marche plus lentement que le mensonge. »

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