(Relato de un náufrago, 1970)
Traduction : Claude Couffon. Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce récit de non fiction :
Colombie, 1955. Luis Alejandro Velasco est le seul survivant des huit marins tombés d’un bateau de l’armée colombienne, le Caldas. Après 10 jours passés en pleine mer, sur un radeau, face à la faim, la soif, et les requins qui se présentent ponctuellement tous les soirs à 17 heures, le naufragé arrive en terres colombiennes pour être reçu en héro.
Seul au monde :
Le récit est publié en 1955 dans le journal ‘El Espectador’ sous forme de quatorze épisodes, qui suivent ces évènements réels en ordre chronologique, tels que Velasco les a racontés à García Márquez, alors journaliste. En 1970, depuis son exile parisien, García Márquez, regroupe les épisodes en un seul roman avec pour titre complet : « Récit d’un naufragé : qui resta dix jours à la dérive sur un radeau sans manger ni boire, fut proclamé héros de la patrie, embrassé par les reines de beauté et enrichi par la publicité, puis exécré par le gouvernement et oublié à tout jamais » García Márquez incorpore le prologue qui explique le procédé journalistique, et la controverse autour du récit, portée par les différences entre la version publiée dans le journal et la version officielle des autorités colombiennes, alors (et jusqu’à 1957) sous la dictature militaire de Gustavo Rojas Pinilla.
La publication du récit dans le journal ‘El espectador’ avait attiré les foudres du gouvernement, car dévoilait les petits arrangements de l’armée colombienne, le bateau militaire étant rempli des appareils électroménagers achetés par les membres de l’équipage, qui étaient tombés à la mer avec le naufragé (et 7 autres marins qui vont mourir peu après l’accident). García Márquez lui-même sera envoyé en Europe comme correspondant, comme pour l’éloigner de la lumière de l’affaire, et le propre Luis Alejandro Velasco, déchu de sa gloire éphémère, retrouvera une existence grise, comme à conséquence d’avoir maintenu la véracité des faits (la chute était due à un mauvais amarrage de la cargaison illégale), à différence de la version officielle du gouvernement (la chute était produite par une tempête en pleine mer).
‘Récit d’un naufragé’ est sans doute un de mes romans de non fictions favoris. Si on pense à ‘Du sang froid’, le chef d’œuvre de Truman Capote, un des premiers et plus importants représentants de ce genre de littérature, on se rend compte que Capote a utilisé un fait divers pour faire, en réalité, clairement de la littérature romancée. García Márquez, en revanche, nous fait vraiment de la non fiction. Il n’y a pas de réflexions philosophiques, des métaphores, des arcs narratifs des personnages, ni des partis-pris quiconque. C’est pur et simplement un récit des faits en première personne.
Et c’est cela qui est fabuleux, car García Márquez nous tient en haleine vers un dénouement qu’on connait d’avance, avec par unique élément narratif, cet homme seul dans un radeau au milieu de la mer, le long des dix jours de naufrage. La mer, les mouettes, les requins, la soif, la faim deviennent personnages à part entière, sans pour autant, jamais perdre le côté réaliste, documentaire et factuel.
Lu une première fois en 1987 (C’est noté sur mon livre !), j’ai relu la même édition du livre en 2021 pour retrouver le même plaisir et fascination que dans mon adolescence. Parabole de la condition humaine, de l’instinct de survie, et de la petitesse de l’humain face à l’infini, ‘Récit d’un naufragé’ nous offre en toute simplicité de style, sans aucune des pirouettes stylistiques ni le réalisme magique qui font la renommée de l’auteur, un de ses romans le plus lucides et brillants.
Citation :
” … Au bout de quatre jours on renonça à l’opération et les marins disparus furent déclarés morts, officiellement. Une semaine plus tard, pourtant, l’un d’eux apparut, un certain Luis Alejandro Velasco, moribond, sur une plage déserte du nord de la Colombie. Ce livre est la reconstitution journalistique de son récit, tel qu’il me fut donné de le publier un mois après le désastre dans El Espectador de Bogota. “
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