Littérature des 5 continents : AmériqueCanada

Rien que la vie

Alice Munro*

(Dear life, 2012)
Traduction :   Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso.   Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce recueil de nouvelles :

Recueil de quatorze nouvelles du prix Nobel canadien, souvent protagonisées par des femmes qui habitent au milieu rural dans le Ontario de la deuxième partie du XXe siècle. Un évènement singulier fait basculer ses vies ordinaires, en les mettant face à ses faiblesses et ses contradictions : Une fermière accueille un soldat qui a sauté d’un train, une femme prête à être infidèle perd sa fille au milieu d’un voyage en train, une vieille femme est jalouse par l’arrivée d’une ancienne amoureuse de son mari, une dame atteinte d’Alzheimer n’arrive pas à trouver l’adresse du médecin qui doit visiter, une jeune institutrice fait face aux avances d’un docteur froid et directif dans un hôpital pour des tuberculoses perdu au milieu de la neige…

L’art de la subtilité :

Subtile, c’est l’adjectif qui peut mieux décrire ce ton très particulier qui compose l’expression littéraire de Munro. Dans ces courtes nouvelles, d’à peine 20 ou 30 pages, on dit peu mais on suggère beaucoup. En suivant la vie de personnages plutôt quotidiens et banales dans des moments cruciaux de leurs vies, l’écrivaine nous propose un univers très soigné d’émotions et sentiments, en toute finesse et retenue. Travaillant dans la lisière entre la réalité et le souhait, Munro oppose souvent ce qui est arrivé avec ce que le personnage croit qui est arrivé, ou avec ce qu’il aurait dû arriver.

Comparé avec d’autres livres de l’autrice, ce magnifique recueil est relativement irrégulier. Il y aura pour tous les gouts et forcement certaines nouvelles vont vous toucher plus que d’autres. Parfois j’ai trouvé que cela poussait un peu trop de côté subtil, au point de ne pas trop comprendre où est-ce que l’autrice voulait nous mener, tellement tout est caché sous la surface. Comme dans ‘Quitter Maverley’, où l’excès de chassés-croisés entre Ray et Leah nuit l’efficacité du récit.

Mais en général le niveau est extraordinaire. Avec un talent magistral, l’âme humaine est mise à nue dans toute ses ombres et ses lumières. Je recommanderais d’alterner ces histoires avec d’autres lectures car elles sont denses et complexes, chaque petite nouvelle étant comme un petit roman en soi.

À mon sens, deux récits font figure de chef-d’œuvre dans ce recueil :

Dans ‘Amundsen’ on trouve Vivien, nouvelle institutrice dans un hôpital de montagne, une femme incapable d’exprimer sa propre personnalité face aux avances du docteur titulaire, au milieu d’un ambiance glacial, avec des références permanentes à la température des lieux. Face au côté entrepreneur du docteur, on trouve une institutrice passive, qui vit de façon détachée les évènements qui se déroulent presque à son insu.

Dans ‘La gravière’, une famille recomposée est marquée par un évènement tragique survenu dans une carrière inondée. Les non-dits ont traumatisé notre protagoniste, alors un enfant, qui n’arrête pas de ressasser l’évènement, sans jamais en trouver les clés qui lui permettraient de le comprendre.

Les quatre dernières nouvelles conforment une unité narrative nommée ‘Finale’, qui retrace des éléments charniers de la vie d’Alice Munro. Dans les propres mots de l’écrivaine, ces 4 récits seraient « autobiographiques dans l’émotion, mais parfois pas complètement dans les faits ». Elles seraient « la première et la dernière (et la plus proche) des choses que je dois dire sur ma propre vie’.


Citation :

« De nos jours, quand on a des enfants et qu’on vit assez longtemps, on découvre qu’on a commis des erreurs qu’on n’a pas pris la peine de chercher à connaître, en même temps que toutes celles qu’on ne connaît que trop bien. »

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