(Triste fim de Policarpo Quaresma, 1911)
Traduction : Monique Le Moing, Marie-Pierre Mazéas. Langue d’origine : Portugais
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Rio de Janeiro, fin du 19ème siècle. Le major Policarpo Quaresma est un homme solitaire avec peu d’amis, qui vit entouré des livres et qui porte son pays dans l’âme. Sa vision idéalisée du Brésil et notamment de son gouvernant Floriano Peixoto, son patriotisme exacerbé, et son mépris par tout ce qui vient de l’étranger, dérangent son entourage, qui commence à le prendre pour un fou, notamment lors qu’il propose, dans un écrit public, de supprimer le portugais et adopter le tupi, langue propre du Brésil, en tant que langue officielle.
Farce tragicomique sur un patriote romantique et incorrigible :
Quaresma est un homme avec des valeurs un peu à l’ancienne, pétri d’idéales romantiques, toujours en décalage par rapport à une société beaucoup plus pragmatique et surtout beaucoup moins intéressée aux nobles idéaux que lui. Derrière ses airs de grand homme d’État et de ses projets grandiloquents, Quaresma n’est qu’on petit homme médiocre, incapable de changer quoi que ce soit. C’est peut-être pour cela que tous ses projets vont être reçus avec de l’indifférence, du dédain ou même l’agacement.
Le roman se structure en trois parties bien distinctes, qui suivent les trois projets de Quaresma, et leur inévitable écroulement. D’abord Quaresma s’obsède à faire revivre la culture, la tradition et le folklore brésilien, qu’il considère clairement menacés par l’influence internationale. Paradoxalement, son seul ami est un italien qui lui est redevable pour l’aide que Quaresma lui avait prêté à l’époque où il n’était qu’un immigré. Même dans ses dérives nationalistes les plus loufoques, l’italien sera son seul soutien réel. L’étape de revendication culturelle culminera dans l’absurde idée de restaurer le Tupi comme à langue officielle dans le pays, devant la risée et le mépris généralisés.
Sans spoiler, même si le titre original du roman nous dévoile tout, les deux dernières parties vont suivre les nouvelles lubies du naïf Quaresma. D’abord, il s’installe dans une ferme et essaie de vivre en cultivant exclusivement des produits nationaux avec des méthodes étudiées dans des livres. Mais même les fourmis ne le prendront pas non plus au sérieux. Puis, dans une troisième partie Quaresma s’engagera à côté du président lors de la Révolte de l’Armada dans les années 90 du 19ème siècle. Ce moment charnier de sa vie va tester les limites de son patriotisme aveugle.
‘Triste fim de Policarpo Quaresma’, absurdement traduit en Français par ‘Sous la bannière étoilée de la croix du sud’, est un classique Brésilien, certes truffé de quelques longueurs et un peu désuet, mais très riche en personnages originaux et en réflexions sociétales, et doté d’un humour efficace même si sans doute un peu candide. Barreto propose une critique acérée autant de la bourgeoisie comme de l’armée et des institutions du pouvoir, les représentant presque sans exception par des gens sans idéaux, bienveillants seulement en apparence, capables de tout pour garder leur position et leurs prérogatives, totalement dominés par la misère morale.
Au centre du récit on trouve Quaresma, personnage assez contradictoire, capable de suivre ses idéaux jusqu’à la nausée lorsqu’il fait face à la grande histoire et aux grands hommes, tout en pratiquant presque l’opposé lorsqu’il est dans son quotidien avec son petit entourage. Ce contraste entre ce qu’il prêche et ce qui pratique, donnera finalement une tendresse irrésistible à ce personnage Quixotesque et unique.
Citation :
« La lumière se fit dans son esprit… Tout cet attirail des lois, d’ordonnances, de codes et des préceptes laissés aux mains de ces petits rois et de ces caciques, se transformait en chevalet, en estrapade, en instrument de supplice pour torturer les ennemis, opprimer les peuples, châtrer leurs initiatives et leur indépendance, pour les décourager, pour les démoraliser. »
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