(Agosto, 1990)
Traduction : Mathieu Dosse. Langue d’origine : Portugais (Brésilien)
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Rio de Janeiro commence le mois d’août de 1954 dans une chaleur torride. Le commissaire Mattos enquête sur un obscur crime dans laquelle un sénateur semble impliqué. Seul policier non corrompu dans un océan de boue, Mattos verra son enquête se compliquer davantage par les attentats de la rue Tonelero qui visaient à éliminer Lacerda, l’opposant du président Getulio Vargas.
Cet attentat raté dans lequel mourut le major Paz, sera le détonnant d’une crise majeure au gouvernement et dans l’opinion publique, et mettra le président du pays contre les cordes, suspecté d’avoir commandité l’attentat. Au milieu de cet imbroglio phénoménale, dans lequel les fausses pistes se démultiplient et tout le monde vise à faire piétiner son enquête, le commissaire Mattos essaie de démêler le vrai du faux, mais son ulcère gastrique lui empêche de vivre, et il doit en parallèle organiser le chaos de sa tumultueuse vie privée.
Août dans un océan de boue :
Dans ce critique on va appeler ce fabuleux roman par son titre original ‘Agosto’ (Août) et délaisser ‘Un été brésilien’, car la traduction du titre en français est parfaitement absurde, l’été brésilien se déployant entre décembre et mars, et le roman se déroulant exclusivement le long du mois d’août de 1954. Comment des éditeurs ont pu commettre une telle bévue sans que personne s’en aperçoive m’échappe complétement. Ou peut-être s’en fichaient-t-ils ? Cela dit, la traduction de Philipe Bille me semble par ailleurs très bonne, même si je ne connais pas grande chose de portugais. Elle transcrit parfaitement en français l’ambiance corrompue, moite et complexe qui se découle de l’intrigue, et garde avec sa syntaxe directe et efficace tout le rythme et la saveur de ce roman unique.
‘Agosto’ donc, est un roman écrit avec main de maître avec une intrigue incroyablement romanesque qui va impliquer des centaines de personnages à tous les étages de la société brésilienne, dès bas-fonds de favelas de Rio jusqu’à la bourgeoisie carioca. Des vauriens de rue, des informateurs de la police, des prostituées, des petits employés se mélangent dans cette intrigue avec des politiciens hauts placés, des femmes de bonne famille, des chefs d’entreprise et même le président du pays Getulio Vargas lui-même. Cette pénétration permanente entre les classes sociales est un des atouts du roman et de sa fascinante capacité pour décrire tout un pays et toute une époque.
Car beaucoup de l’intrigue de ce roman est tirée des faits historiques qui se déroulèrent au Brésil en août 1954, derniers instants de la présidence de Getulio Vargas. Vargas, héros travailliste de la révolution de 1930 et parfois connu comme le président du peuple, fut président du Brésil à deux reprises, d’abord entre 1930 et 1945 (incluse la période dictatoriale entre 1937 et 1945 connue comme l’Estado novo) et puis une deuxième fois entre 1951 et 1954. Sa présidence et la fin de son deuxième mandat marquèrent profondément l’histoire brésilienne du XXe siècle. Ce n’est pas grave si vous n’êtes pas calés en histoire brésilienne récente, car le roman se suit parfaitement malgré son énorme complexité, mais je recommande quand même de rechercher sur le sujet pour compléter l’ensemble, peut être mieux après la lecture, ainsi vous ne serez pas spoilés par certains faits historiques.
Le seul hic que je trouve dans ce roman magnifique est son point de vue absolument masculin. Il y a des femmes dans le récit, personnages féminins profonds et bien travaillés, mais le point de vue de ce livre écrit en 1990 épouse un peu trop cette ambiance remplie de testostérone, sans doute dominant dans le Brésil des années 50. ‘Agosto’ présente aussi une vision un peu désinvolte de l’homosexualité. Comme dans beaucoup de littérature brésilienne du XXe siècle, l’homosexualité s’associe très souvent au vice et au manque de virilité, et même si ici les propos sont bien contextualisés, cela pourrait choquer certains lecteurs.
Malgré tout cela, on est face à un écrivain qui sait nuancer tout ce qu’il décrit, qui parle avec connaissance directe du terrain (Fonseca fut policier puis commissaire pendant beaucoup d’années avant de se mettre à l’écriture), qui maîtrise ses personnages totalement et qui sait doser son intrigue de façon brillante. L’action du livre se déroule à travers des centaines de très courtes scènes, qui découplent l’action du roman et font avancer cette intrigue foisonnante avec un rythme très soutenu. Il y a un risque de décrochage si vous êtes perdus dans l’océan de personnages du livre, mais en général le récit va se centrer sur le commissaire Mattos et son enquête, et peut se lire presque comme un simple polar avec des implications politiques. C’est sombre, violent et moralement pourri, mais incroyablement vraisemblable et réaliste.
Il existe déjà une série brésilienne produite peu après la publication de ce roman, mais ‘Agosto’ ferait un matériel fantastique pour une belle série HBO ou Netflix. Malheureusement l’œuvre de cet écrivain très apprécié au Brésil, semble avoir tombée dans l’oubli à l’international. Auteur totalement à redécouvrir.
Citation :
« Peut-être ne se posait-il pas les bonnes questions, peut-être n’apportait-il les bonnes réponses aux questions, bonnes ou mauvaises, qu’il se posait. Peut-être n’y avait-il pas de question à se poser ; ni de réponse à apporter au trouble, au malaise qu’il éprouvait alors. »
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