(Ali und Nino, 1937)
Traduction : Michel-François Demet. Langue d’origine : Allemand
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Bakou au début du 20ème siècle, sous tutelle de l’empire russe. Le narrateur est Ali khan, appartenant à la famille Schirwanschir, la crème de l’aristocratie musulmane azéri. Dès ses années au lycée Ali tombe amoureux d’une autre étudiante, Nino Kipiani, une jeune fille chrétienne et géorgienne. La belle Nino est la fille d’un riche entrepreneur, qui garde le statut de prince. Leur projet de mariage et de vie en commun va se heurter autant aux préjugés de leurs familles et leurs communautés comme à l’instabilité du pays, tiraillé entre la Turquie, la Perse et l’influence européenne, mais surtout soumis à la pression de la Russie des Tsars d’abord, et celle des bolcheviks après la révolution. Dans ce contexte convulse, Ali et Nino vont faire face à plusieurs exiles qui testeront la détermination de leur amour.
Roméo et Juliette azéri :
‘Ali et Nino’, belle épopée romantique narré avec brio et sensibilité, sera sans doute votre choix de prédilection pour cocher la case Azerbaïdjan si vous êtes dans un challenge de lectures de tous les pays du monde, car non seulement l’auteur est azéri (même s’il y a beaucoup de mystère et doutes par rapport au vrai écrivain du livre, voir paragraphe plus bas), mais aussi l’intrigue entremêle de façon assez intéressante les évènements qui ont marqué l’histoire de l’Azerbaïdjan dans les années 10 du 20ème siècle, première guerre mondiale et révolution russe incluses.
Paragraphe historique : Le roman se déroule pendant la brève parenthèse de liberté de l’Azerbaïdjan entre le Tsar et les Soviets (Grosso modo de 1917 à 1920). Le contexte historique est crucial dans ce livre, et probablement est son meilleur atout. Sans un peu de recherches sur l’histoire de l’Azerbaïdjan, il y a des chances qui vous vous trouvez perdus dans tout ce marasme des pays se battant dans la Caucase. Juste avant de l’abdication du dernier Tsar (1917) l’Azerbaïdjan était intégré à l’empire russe dans la région de la Transcaucasie, une démarcation marquée par la diversité religieuse et culturel qui incluait les futurs pays d’Azerbaïdjan, Géorgie et Arménie. Après la libération de Bakou par les troupes turques, et la chute du Tsar, les sentiments nationaux commencèrent à se développer en vue à une possible indépendance pour ces trois pays. La République démocratique d’Azerbaïdjan est proclamée en mai 1918, deuxième régime démocratique laïque à être établi avec succès dans le monde musulman (Après l’Albanie et juste avant la Turquie). Un pays riche, moderne, tolérant et ouvert vers le monde est né. Mais les joies de ce beau projet sont de courte durée. Finie la tutelle des anglais, le pétrole qui regorge dans le pays est trop tentant pour le pouvoir soviétique. À partir de juin 1918, les troupes de l’armée rouge vont pénétrer dans le pays. Après la chute de Bakou en 1920, l’Azerbaïdjan va se trouver à nouveau sous le joug du géant russe, cette fois ci soviétique.
Ali et Nino seront tiraillés entre le sentiment qui éprouvent l’un envers l’autre et l’engagement vis-à-vis leurs origines, musulman lui, chrétienne elle. Deux thèmes vont se complémenter dans de ce livre. D’une part le rapport entre devoir et désir, et d’une autre le choc de cultures entre l’Asie (incarné par Ali et le monde musulman) et l’Europe (incarné par Nino et le monde chrétien). Le roman envoie un clair message de tolérance et respect de l’autre. Le long des exils et voyages du couple, ils vont se confronter aux mœurs de chaque région pour finalement réaliser que Bakou est peut-être le seul endroit qui permet de concilier leurs deux réalités : L’Asie et l’Europe (voir citation). Clairement le message du livre sera celui de l’entente entre cultures, et l’ouverture d’esprit. Pour que Ali et Nino puissent vivre heureux chacun devra faire certains compromis, mais sans jamais renoncer à leur vrai moi.
Le récit est beau même si un peu trop axé sur l’intrigue, les personnages ne sont pas vraiment approfondis, et il y a un certain manque de fluidité et finesse dans la narration. Tout est un peu trop directement évoqué, on passe d’un rebondissement à un autre sans qu‘il y ait des vrais arcs narratifs des personnages. Malgré ces quelques ‘mais’, le côté historique et foisonnant de cette histoire nous fait voyager à travers tout le Caucase, trouvant dans ce dépaysement sa meilleur arme de séduction.
Kurban Saïd, officiellement l’auteur de ce livre, restera toujours une énigme. Depuis une enquête du New York times conduite en 1999 par Tom Reiss il semble avoir un consensus qui désignerai Kurban Saïd comme un pseudonyme de Lev Nussimbaum, un écrivain juif azéri qui fuit Bakou lors de l’invasion bolchevik en 1920, et qui, après un long périple, finit pour s’installer en Allemagne écrivant principalement sous encore un autre pseudonyme, Essad Bey. Après la montée du nazisme il fuit en Italie où il mourut. Mais la paternité de ‘Ali et Nino’ reste controversé car Nussimbaum/Bey/Saïd était réputé pour copier ou utiliser des extraits et paragraphes entiers d’autres écrivains. Il semblerait qu’une bonne partie du roman ‘Ali et Nino’ serait due à la plume de l’écrivain azéri Yusif Vazir Chamanzaminli. Bref, un imbroglio phénoménal qui jette une voile de mystère et controverse sur cette œuvre unique.
Citation :
« Je supporterais aussi peu l’Europe que toi l’Asie. Restons ici, à Bakou, où l’Asie et l’Europe s’interpénètrent insensiblement »
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