Littérature des 5 continents : AsieJapon

Âme brisée

Akira Mizubayashi

(2019)
Français
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Tokyo, 1938. Au centre culturel municipal le professeur japonais Yu Mizusawa, accompagné de trois étudiants chinois, Yanfen, Cheng et Kang, se réunissent pour répéter le quatuor ‘Rosamunde’ de Schubert. Rei, le fils de Yu de onze ans, assiste à la répétition. À l’aube de la deuxième guerre mondiale, l’empire japonais est alors en guerre contre la Chine, mais ces quatre musiciens amateurs s’intéressent uniquement à la beauté de la musique.

La répétition ce quatuor sino-japonais est brutalement arrêtée par l’irruption des militaires japonais. Alerté par le bruit, Yu cache son fils Rei dans un armoire, depuis lequel il sera témoin de la scène. Son père sera brutalisé et emporté par les soldats japonais, accusé d’haute trahison et complot contre l’empire, son violon écrasé violemment contre le sol. Après ce traumatisme la vie de Rei sera marquée par le besoin de combler l’absence de ce père aimant, incarné dans le violon détruit.

Musique et deuil :

C’est un très beau et évocateur roman sur le deuil et le dépassement des blessures du passé, écrit avec un ton très nostalgique et poétique. Le livre fut écrit originalement en français, malgré que son auteur ne soit pas arrivé en France qu’après ses vingt ans, et depuis il est rentré au Japon où il a vécu la plupart de sa vie. Mizubayashi utilise un français relativement simple mais très précis, insistant une fois et une autre dans les échanges aimables et les formules de politesse qui sont d’une importance capitale dans la société japonaise. Les rapports humains décrits dans le livre sont traités avec énormément de pudeur et retenue, mais ils sont profonds et remplis d’émotion. En quelque sort son style peut faire penser au prix Nobel britannique Kazuo Ishiguro, aussi né au Japon. Il n’y a pas beaucoup d’action, ni de passion ni des explosions sentimentales, tout est discret et subtile, mais rempli de finesse et mélancolie. On dit peu mais on ressent beaucoup.

Même si aucun flashback ne nous permettra jamais de revenir directement sur le jour de la détention du père de Rei, ce passé sera omniprésent. Il viendra une fois et un autre dans le récit, rapporté de façon indirecte. Rei a grandi et vit maintenant en France. Il est luthier et il a dédié toute sa vie à la réparation du violon de son père, détruit le jour où il le vit par la dernière fois. Malgré les années passés, tous les éléments du drame vont être petit à petit réévalués, revisités et ressentis. Rien de ce qui se passe dans les premiers chapitres sera oublié, tous les détails décrits au début vont trouver une clôture en quelque sorte dans le récit. De ce fait, le roman exhibe une structure très solide, c’est merveilleusement bien ficelé. Presque chaque élément aura une portée symbolique marquée qui permettra au passé de dialoguer avec le présent.

Le titre ‘Âme brisée’ fait référence à ce bâtonnet en bois qui, placée à l’intérieur du violon, permet sa résonance. Si le violon incarne sans doute le père, l’âme du violon est probablement l’âme du garçon lui-même. Cassée lors de la destruction du violon, l’âme brisée a une valeur métaphorique bien sûr, car Rei a aussi besoin d’être en quelque sorte ‘réparé’. À travers la restauration du violon, Mizubayashi fait une profonde réflexion sur les séquelles d’un traumatisme psychologique, et sur les étapes du deuil.

La musique est très présente dans le livre. Quelques pages sont dédiés à l’art de la lutherie, à la restauration des violons et la fabrication des archets. Mais les descriptions le plus poétiques du livre sont destinées à la musique elle-même. Exemple : « Les aigus sonnaient comme une enfilade de gouttes d’eau pure versées par un ciel bas et tourmenté, étincelant aux premiers rayons du soleil pénétrant obliquement les feuillages verdoyants d’une forêt boréale luxuriante, tandis que les médiums et les graves étaient comme ouatés, glissant sur une étendue de velours, suscitant une impression de chaleur intime émanant d’une cheminée de marbre restée allumée toute la nuit. »

La musique est toujours représentée comme à force capable de dépasser les préjuges, de permettre aux êtres humains de surmonter leurs différences et d’aller de l’avant. Une lumière qui permettrait de traverser les ténèbres. À travers l’art l’homme devient meilleur et plus humain. Les pièces de Schubert, Bach, et Berg qui apparaissent dans le récit à des moments clés peuvent accompagner et compléter ainsi cette lecture, je le recommande sans hésitation.

Magnifique récit rempli d’humanisme et écrit avec sensibilité et finesse. Écrivain à suivre.


Citations :

« Plus tard, peut-être que quelqu’un jouera d’un de tes violons avec un de mes archets ! » « Emporté par la haine féroce, il balança le violon par terre de toutes ses forces et l’écrasa de ses lourdes bottes de cuir. L’instrument à cordes, brisé, aplati, réduit en morceaux, poussa d’étranges cris d’agonie qu’aucun animal mourant n’eût émis dans la forêt des chasseurs impitoyables. »

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