(Ankara, 1934)
Traduction : Ferda Fidan. Langue d’origine : Turc
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Juste après la première guerre mondiale et la subséquente débâcle de l’empire ottoman, Ankara, ville poussiéreuse au milieu de l’Anatolie, se situé dans un terrain libre pas encore menacé par l’occupation des troupes alliés. La jeune citadine Selma fait partie de l’élite istanbuliote qui part s’installer à Ankara. La ville sera le théâtre de la résistance à l’occupation, puis de la révolution. La guerre de la libération, mené par Mustafa Kemal Atatürk, fera de la ville la capitale de la nouvelle Turquie. Parmi tous ces changements historiques, Selma, idéaliste et rêveuse, éprouvera autant de changements de vie que la ville elle-même.
Selma et Ankara :
La première chose qui frappe dans ce roman fondateur publié en 1934, est la relation fusionnelle qu’on trouve entre la ville d’Ankara et la jeune fille Selma. Au début du roman, Ankara est une ville provinciale, complexée face à la beaucoup plus cultivée Istanbul. C’est alors que la citadine Selma arrive à Ankara, et sera très vite ennuyée par le provincialisme de la ville qu’elle retrouve.
Mais les airs de la révolution vont s’imprégner de la ville et un élan de résistance rempli d’espoir mène la révolution à gagner la guerre. Selma aussi participera de ce souffle, et s’approchera du combat, refusant fièrement d’abandonner la ville que maintenant elle considère la sienne.
Dans les premières années de la république, proclamée en 1923, Ankara se développe à grande vitesse et des nouveaux quartiers chics poussent des partout, une nouvelle haute société, très superficielle et mondaine, victime d’une occidentalisation sauvage, plonge l’ambiance dans une insolente arrogance et mépris de classes. Ce sera l’étape la plus mondaine de Selma aussi, celle qui entrainera les changements postérieurs.
Mais après cette dérive classiste, un nouvel élan national, mène par Mustafa Kemal Atatürk, vise à connecter avec le vrai peuple. Ses idées d’une nouvelle Turquie, une nouvelle constitution, plus juste et plus près du peuple, vont aussi répercuter sur la vie de Selma, et lui donner un souffle idéaliste et d’espoir.
Suivant un parcours qui se reflète de l’une à l’autre, Selma et Ankara sont deux faces de la même monnaie, presque le même personnage. À chaque nouvelle étape dans la ville, Selma se réinventera à son tour. La structure du roman se tient magnifiquement par ce rapport entre ces deux personnages féminins, Selma et Ankara.
Dans ce très beau roman j’ai un seul hic. La partie révolutionnaire d’Ankara (et de Selma) se développe en 3 ou 4 pages (autour de la page 80, vers la fin de la partie 1), remplies d’ellipses un peu trop forcées à mon sens. Selma passe de mariée insouciante à révolutionnaire engagé et puis d’autres rebondissements (que je ne spoilerais pas), en à peine quelques paragraphes. À mon sens cette partie du roman ellipsée aurait été essentiel pour comprendre l’arc narratif autant de la jeune femme comme de la propre ville.
L’introduction inclut quelques pages d’explication du contexte historique du roman, qui m’ont énormément aidé à bien comprendre les enjeux. Par ailleurs ce roman engagé (Karaosmanoglu était un écrivain de l’élite intellectuel de gauche, très proche de la présidence d’Atatürk) nous permet d’apprendre énormément sur les transformations qui ont secouées le pays dans la première partie du XXe siècle.
Attention léger spoiler : Le roman fur écrit en 1934, mais s’achève en 1942 avec le rêve assouvi d’une Turquie prospère et égalitaire. Karaosmanaglu, dans une petite préface écrite 30 années après, en 1964, semble parler avec cynisme de cette fin naïve et trop lumineuse, et dit ne reconnaître dans la Turquie des années 60, aucun des nobles idéaux révolutionnaires de jadis.
Citation :
« Toi et moi ne pouvons être heureux qu’accordés au rythme tonitruant de cette ville »
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