(Aranyak, 1938)
Traduction : France Bhattacharya. Langue d’origine : Bengali
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman autobiographique :
Fraichement diplômé de l’université de Calcutta, Satyacharan, notre jeune narrateur, peine à trouver un emploi. Menacé par un chômage qui commence à trop durer, il accepte l’offre d’une vielle connaissance et part vers le Bihar, une région misérable au nord de l’Inde enclavée au pied de l’Himalaya, où il devra s’en charger de repartir des parcelles de terre sauvage et forestière aux agriculteurs qui souhaiteraient les exploiter et les convertir en terre cultivable. La mort dans l’âme, il quitte la ville et ses habitudes bourgeoises pour s’installer dans l’isolement le plus complet dans cette jungle au bout du monde. Mais, malgré ces réticences initiales, notre narrateur va tomber sous le charme de cet endroit à la nature exubérante, peuplé par des hommes et des femmes humbles mais dignes, dans lequel il commence à se sentir en pleine sérénité.
Humanisme et écologie :
Notre narrateur n’est autre que Bibhouti Bhoushan Banerji lui-même, qui raconte sa vraie expérience au Bihar, où il travailla entre 1924 et 1930, en tant qu’agent chargé de la déforestation d’une énorme extension de terrain en vue à son administration pour des petites exploitations agricoles pour les communautés locales. Absolument fasciné par cet endroit à la beauté luxuriante et par le charme de ses habitants, aussi misérables que touchants, Bibhouti Bhoushan Banerji souhaitait depuis longtemps écrire un récit axé sur la disparition de cette merveilleuse forêt pour laisser la place à l’humain et au progrès.
En 1928 il écrivit sur son journal : « J’écrirai quelque chose sur les vies autour de cette jungle. Des portraits de vies dures, courageuses, courtes et oubliées. Cette jungle, sa solitude, se perdre à cheval – vivre dans cette jungle en bâtissant des logements de fortune… La misère, la simplicité de ces personnes, cette vie viril et active, l’image de cette forêt dense dans l’obscurité totale de cette soirée – tout cela ». Puis en 1934, « Dans ce roman je dois mettre la lumière sur le fossé entre les riches propriétaires et les tristes et pauvres paysans ».
Voilà tous les sujets traités dans ce roman, ode à la nature et aux gens simples, porté par une nostalgie irrésistible. Le livre prend une structure similaire à ‘La ferme africaine’ de Isak Dinesen (aka Karen Blixen), qui élaborait un simple mais très humaniste catalogue documentaire de ses expériences vécues en Afrique, confrontant le bourgeois compliqué avec le paysan simple. Bibhouti Bhoushan Banerji fait exactement la même chose avec cette forêt qu’il n’a jamais oubliée, et consigne de façon factuel mais très émouvante, les rencontres, les expériences et tout son vécu.
Une autre modernité de ce livre vient du fait qu’il ne perd jamais de vue l’absurdité des conflits provoqués par le système de castes. Pas tous les paysans sont adorables, les personnages sont bien nuancés. L’analyse sociologique et perspicacité psychologique de ‘Aranyak’ (‘De la forêt’) sont remarquables. Une myriade de personnages secondaires, tous des portraits très solides et touchants, peuple ce récit : Le paysan Yugalprasad qui arrange les abords d’un splendide lac dans le but de préserver son charme, en faisant du jardinage écologique. Kunta, la jeune femme courageuse maudite par la mauvaise réputation de sa mère. Ou Dhaturiya, le paysan absolument engagé dans la danse traditionnelle, malgré la misère qui le hante.
Notre narrateur est en permanence confronté au dilemme entre l’envie de préserver cet écosystème merveilleux, ce patrimoine naturel, et le devoir de le détruire pour le transformer en cultures. Le roman suit le parcours et la transformation de son protagoniste, avec un style simple et un rythme contemplatif mais très prenant. Le nombre d’anecdotes et personnages qui étoffent ce récit peut par moments le faire tomber dans certaines redondances, mais le charme opère sans problèmes grâce à la nostalgie et l’émotion qui s’en dégage de ses pages.
Ce magnifique livre, profondément humaniste, est un pionner du récit écologique en Asie, et pourrait faire penser aux films du réalisateur japonais Hayao Miyazaki, qu’on aurait bien vu en faire une adaptation animée. Les deux partagent cet envoutement absolu par le mystère de la nature, en s’accordant aussi sur sa fragilité face au progrès débridé de l’être humain. Dans ce sens ‘De la forêt’ dégage un certain fatalisme, tout en gardant au même temps une vision respectueuse de l’être humain et sa diversité, notamment des habitants de ces enclaves sauvages qui vivent aux grés de saisons.
Citation :
« Un jour viendrait, peut-être, où les hommes de notre pays ne pourraient plus voir de forêt. Il n’y aurait plus que des champs cultivés et des usines de jute. La fumée des usines textiles serait partout visible. Ils viendraient alors dans cette région reculée comme en pèlerinage. Puissent ces forêts être préservées, inchangées, pour ces hommes du futur ! »
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