(Pŏt, 1988)
Traduction : Patrick Maurus, Yang Jung-hee et Tae Cheon. Langue d’origine : Coréen
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Corée du Nord, années 80. Soon Hwi, ancienne ouvrière devenue chanteuse, souhaite divorcer de son mari, l’ouvrier Sok-Chun, citant des différences irréconciliables dans leurs rythmes de vie. Artiste réputée, Soon Hwi considère que son époux a peu d’ambitions et se conforme de son travail abrutissant de tourneur à l’usine, et l’accuse de délaisser son projet de prototype d’une machine qui pourrait avoir une utilité importante pour la société. Le divorce étant une affaire d’intérêt social en Corée du Nord, le juge Jong Jin-Woo se penche dans la vie quotidienne de ce jeune couple et leur enfant, pour trouver la meilleure solution au problème.
Le divorce : Répercussions publiques d’un acte privé en Corée du Nord :
‘Des amis’ est le premier roman publié en français par un auteur de Corée du Nord. Attention, ce n’est pas un livre publié depuis l’étranger, orienté vers la communauté internationale pour dénoncer les dérives du régime. Rien de cela. ‘Des amis’ est un roman publié et apprécié dans le pays, qui a contourné les strictes lois de censure mises en place pour n’importe quel travail littéraire. On n’est pas face à un roman subversif, engagé, mais plutôt face à un récit sociologique qui analyse une affaire privée et ses répercussions publiques. Si vous vous attendez la dénonciation du régime comme c’est le cas de Bandi, Yeonmi Park, et d’autres personnes qui ont fui le régime, vous serez déçus. Par contre, si vous voulez avoir un aperçu très réel du quotidien d’un couple coréen face à un dilemme moral et social, ce livre est pour vous.
Car le côté psychologique du roman et les dilemmes morales de ses trois protagonistes sont très intelligemment ficelés, malgré que le livre doive se plier aux dictats de ce que l’État considère convenable. En gros, il faut que l’individualisme s’incline face à bien commun de la société. L’ouvrier est gentil et il faut le soutenir. Puis l’état et ses lois sont foncièrement bons, c’est des individus malintentionnés qui créent les tensions dans le système. Malgré qu’il n’y ait aucune critique du régime, ou à peine voilée, Baek Nam-Ryong dut faire face à certaines accusations parce qu’il dépeignait un tableau trop négatif des institutions et des conditions de vie. En réalité, ce livre n’est pas du tout centré sur l’État mais plutôt sur les sentiments d’un couple qui divorce et du juge qui doit statuer, et c’est cette dimension psycho-sociologique qui probablement l’aida à contourner la censure, et également à faire de ce roman une lecture universelle et intéressante.
Le divorce en Corée du Nord, comme par le passé dans beaucoup des sociétés occidentales, est une affaire qui ne concerne pas seulement les individus, mais la société entière. L’enquête du magistrat plongera le lecteur dans la vie passé et présent du couple, ainsi comme dans la propre vie privée du juge, et évaluera les implications personnelles et sociales de cette séparation. Le roman fait en permanence le contraste entre les débuts d’une histoire d’amour et la lassitude ou la déconfiture produite par le temps qui passe.
Je n’ai aucune idée de quel est l’intérêt de cette pochette avec des révolutionnaires enflammés ni quel lien peut y avoir avec le contenu du roman. Du même, je n’ai pas trouvé de traduction du titre officiel ‘Pŏt’, mais le titre français ‘Des amis’ ne semble refléter en rien ni les thèmes, ni l’intrigue, ni l’ambiance du livre. Mystère.
Le ton naïf, moralisateur et poussif pourrait dégouter certains lecteurs occidentaux qui s’attendraient à tout prix à la dénonciation du régime. Il faut le lire ayant en tête que le roman a échappé de justesse la censure, il est écrit pour un ancien ouvrier reconverti écrivain, et son public de destination est le lecteur coréen, peut-être plus intéressé au dilemme moral entre le désir individuel et l’intérêt général que le lecteur international. Surprenant.
Citation :
« Avait-il imaginé tout cela lorsqu’il était amoureux de sa jeune femme ? »
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