(رجال في الشمس, 1963)
Traduction : Michel Seurat. Langue d’origine : Arabe
⭐⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte cette novella :
Irak, 1948. Après la guerre et l’exode de la Nakba, la vie des réfugiés Palestiniens dans le campement Irakien est devenue intolérable, et trois hommes d’âge et expérience très différentes, chacun avec ses raisons, vont essayer de joindre illégalement le Koweït pour tenter d’avoir une vie meilleure, pour eux et leurs familles. Des passeurs malintentionnés vont profiter de leur détresse, mais les trois hommes gardent la détermination, jusqu’à qu’un chemin vers l’exil semble s’ouvrir devant eux.
Exil et dignité :
‘Des hommes dans le soleil’ fait sans doute justice à sa réputation comme une des grandes œuvres de la littérature écrite en arabe. C’est un libre court et acéré, qui surprend pour sa capacité à rassembler la rage et les émotions épurées de son récit avec une réflexion extraordinairement lucide sur les souffrances dérivées des guerres et exils, le tout très intelligemment structuré. Un roman qui appelle autant à la raison que à l’émotion, excellant dans les deux terrains.
Nos hommes dans le soleil sont des personnages très différents, d’âges et situations très différentes. Abou Qais, le plus âgé, cherche subvenir aux besoins de sa famille, maintenant dans la détresse après la perte de leur exploitation d’oliviers. Le Koweït pour lui n’est qu’une plateforme pour préparer le retour. Il ne cherche pas une vie meilleure, il veut juste retrouver celle d’avant. Assad représente la jeunesse. C’est le personnage le plus lucide et indépendant, il est beaucoup plus conscient de la problématique dans laquelle ils se trouvent, et serait sans doute le plus méfiant mais aussi le plus engagé par la cause de la libération du peuple Palestinien. C’est le combattant. Entre ces deux âges, Marwan est peut-être le plus innocent. Il cherche à aider sa mère, abandonnée en Palestine par son père, mais se positionnant un peu plus en victime, Marwan se fait miroiter plus facilement ce rêve de prospérité Koweïti.
La mécanique narrative du roman est redoutable de simplicité et d’efficacité, tout en abordant des sujets très complexes avec profondeur, sensibilité et maitrise. Dans une longue introduction, on se concentre tour après tour sur chacun des trois hommes, déployant leurs caractères, leurs motivations, leurs déceptions et leurs rêves d’avenir. Dans leur recherche de la voie de l’exode vers le Koweït, ils connaitront le côté le plus sordide du terrible univers des trafiquants d’êtres humains. Lorsqu’on arrive dans le vif du récit, nos trois hommes dans le soleil vont se trouver face à Aboul-Khaizaran, un passeur dont l’ambiguïté morale sera une des clés du récit. Aboul-Khaizaran va leur proposer de se cacher dans l’étroite citerne de son camion, sous un soleil de plomb et une chaleur écrasante, juste le temps de traverser la frontière. Le reste du récit suit l’odyssée de ces héros de temps modernes.
Doté d’une intensité rare, d’un grand pouvoir visuel, et d’un rythme presque cinématographique, on peut facilement lire d’une traite ce récit ultra-prenant. Mais c’est son contenu, et sa vision de l’exil et de la quête de dignité ce qui va nous accompagner même longtemps après la lecture. Un chef d’œuvre d’émotion, de réflexion et de savoir-faire littéraire.
Kanafani, en plus d’un écrivain brillant, vécu toute son existence dans l’engagement politique par la cause Palestinienne. Comme les personnages du récit, il fut contraint de partir en exil après la Nakba. Il vivra en tant que réfugié politique, au Liban, en Syrie et aussi au Koweït. Figure importante et porte-parole du FPLP (Front populaire pour la libération de la Palestine), Kanafani fut assassiné par le Mossad à Beyrouth en 1972, a seulement 36 années d’âge.
Citation :
« Le voilà à des milliers de kilomètres du village et de l’école, après mille et mille jours… Béni sois-tu maître Salim ! Quelle chance tu as eue d’avoir quitté ce monde une nuit seulement avant que notre pauvre village ne tombe aux mains des juifs… Tu as échappé à l’opprobre. Tu t’es épargné une vieillesse honteuse… Accepterais-tu de faire ce que je fais maintenant ? De partir à travers le désert, avec tout le poids des années sur tes épaules. Destination : Le Koweït. Pour un morceau de pain… »
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