(A funny Boy, 1994)
Traduction : Frédéric Limare et Susan Fox-Limare. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Arjie c’est un jeune enfant de 7 ans, qui vit dans une famille bourgeoise tamoul chrétienne à Colombo. Arjie est différent, sensible et délicat, il ne se trouve bien qu’en compagnie de ses cousines avec lesquelles il invente des jeux théâtraux, dans lesquels il finit dans une tenue de fiancée de cinéma, avec des bijoux empruntés et un sari de rêve. Mais petit à petit le garçon commence à se rendre compte de sa propre différence et voit que ses parents ne voient pas d’un bon œil son côté différent.
L’arrivée d’une tante très jeune, Tatie Radha, qui doit se marier avec un riche Tamoul, va bouleverser le jeune Arjie. Radha commence à fréquenter un jeune cinghalais. Mais cette liaison entre ethnies est vue de mauvais œil par les deux familles. Arjie commencera à se réveiller au monde des adultes, et vivra en première personne le conflit Tamoul/Cinghalais, qui débouchera dans les émeutes de 1983 et la guerre civile.
Bildungsroman Sri-lankais et LGBTQ+
Ce merveilleux roman d’apprentissage (On suit le personnage principal de l’enfance jusqu’aux transformations que lui mènent à l’âge adulte), a un côté autobiographique très marqué. Shyam Selvadurai, gay et chrétien, fils d’un Tamoul et une cinghalaise, raconte une partie de son enfance par le biais du personnage de Arjie. La découverte de sa sexualité et ses premiers amours est un des piliers du livre, mais aussi le conflit politique qui a secoué le pays, et qui força la famille de Selvadurai à émigrer au Canada, où il réside encore.
Le roman a une structure très solide : 6 histoires courtes qui marcheraient comme des nouvelles indépendantes, mais qui sont reliés par un fil conducteur qui est le passage à l’âge adulte de Arjie. La nouvelle central « Le meilleur collège de tous » est probablement la plus touchante, une parenthèse romantique dans laquelle les tensions ethniques restent malgré tout très présentes.
Comme l’auteur lui-même l’indique dans la postface de l’édition 25ème anniversaire, sa plus grande obsession était de s’inscrire dans la ‘petite narrative’, rester à l’échelle des êtres humains simples, qui sont emportés par les évènements politiques qui secouent le pays. Ne pas écrire sur ceux qui font l’histoire mais plutôt sur ceux qui la subissent. Pari réussi, c’est à travers les vies de ces personnages du quotidien, qu’on comprendra les enjeux de cette discorde.
J’ai beaucoup appris sur le conflit Tamoul/cinghalais, qui éclata en 1983 mais dont le germe venait de bien avant. La minorité Tamoul, jadis préférée par les colons britanniques, se vit de plus en plus reculée, face à la connivence du gouvernement cinghalais, et le résultat fut une catastrophe humanitaire sans précédents dans le pays, et un conflit dont les blessures ne sont pas complètement guéries.
En relation aux faits historiques, il me semble que la narration de Selvadurai est très juste, en absolu manichéenne. Par sa double appartenance Tamoul et Cinghalaise, on sent que Selvadurai prend soin à dévoiler la réalité des faits politiques et du problème ethnique/social, mais toujours en se gardant de montrer des personnages positifs dans les deux côtés. Les critiques aux gouvernement cinghalais sont justes, mais il mettra en avant des moments de bonne entente entre les deux communautés, avec de l’amitié et du bon voisinage. Mais cet équilibre volera en éclats lorsque le terrorisme avec la connivence de l’état, viendra marquer leurs vies.
Car oui, j’étais très surpris de voir que ce roman souvent vendu comme l’histoire d’un garçon gay, est en réalité une œuvre complexe dans laquelle se mélangent l’émotion et la politique, avec une sensibilité et finesse épatantes pour un premier roman.
‘Funny Boy’ est un titre difficile de traduire, car Funny veut dire drôle dans le sens ‘amusant’, mais aussi il peut vouloir dire ‘étrange’ et ‘différent’, et c’est le sens qui nous intéresse ici, car à l’époque au Sri Lanka, les mots gay et homosexuel étaient plutôt tabous. Du coup dans le livre on a traduit funny par ‘bizarre’. Le titre du libre peut être aussi déroutant, car ‘Drôle de Garçon’ n’a rien de drôle dans le sens amusant, mais plutôt dans le sens différent et étrange.
Touchant récit du passage de l’insouciance de l’enfance aux turbulences de l’adolescence (Voir citation ci-dessous), sur fond de guerre civil Sri-lankaise.
Citation :
« C’est d’un de ces dimanches de mes sept ans que date mon exil loin du monde que j’aimais. Comme un navire qui quitte le port pour la haute mer, j’ai été arraché au havre paisible de l’enfance pour être jeté dans les eaux tumultueuses de la vie adulte. »
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