(Honor, 2022)
Traduction : Pas connue. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Smita est une journaliste américaine, née en Inde, qui retourne dans son pays d’origine à la demande d’une collègue de profession. Elle doit couvrir le cas de Meena, une jeune hindoue affreusement défigurée par une agression avec le feu perpétrée par ses propres frères. Ils souhaitaient punir sa sœur pour s’être mariée avec un jeune musulman, Abdul, mort brulé lors de l’effroyable attaque. Accompagnée par le jeune Mohan jusqu’à un village loin de la grande ville, Smita commence à enquêter sur le terrain, et à interviewer Meena, ses frères, et toutes les personnes impliquées. Smita découvre une société rétrograde qui n’accorde aucune indépendance aux femmes et dont la justice s’incline face au poids de la tradition. En approchant la date où le jugement va être rendu, le propre passé de Smita va faire surface.
L’inde c’est mal, l’Amérique c’est bien :
L’inde c’est mal, l’Amérique c’est bien. Le dilemme central de ce livre qui me fait réduire le titre à cette simple phrase est que la femme Indienne (Meena) ne peut pas choisir qui aimer, tandis que la femme américaine (Smita) est libre de choisir qui elle veut. En réalité, malgré les 300 pages du livre, il n’y a pas beaucoup plus de nuances que cela. Je suis assez fâché contre ce livre, qui a eu un succès critique époustouflante aux US, porté par la puissante recommandation du book club de l’actrice Reese Witherspoon.
On ne peut pas nier que l’écrivaine a un talent remarquable pour la narration. Elle sait comment embarquer le lecteur et garder son attention, mais alors le contenu… Aucune nuance ni subtilité : Tout est maché pour le lecteur, les sentiments sont commandés, les idées sont poussées dans notre gorge pour qu’on les avale sans aucune réflexion. C’est clairement une histoire américaine, pas une histoire indienne. La vision du monde est assez biaisée, presque post-colonialiste, même si l’autrice est censée connaitre son pays d’origine, qu’elle quitta à l’âge adulte. J’ai le sentiment du relire du Rudyard Kipling, même ‘Sur la route des Indes’ de E. M. Foster, écrit il y a 100 ans, avant l’Indépendance de l’Inde, a une approche plus nuancée de la réalité du pays.
Alors, quelle idée de l’Inde ! Tout le pays est réduit à une sélection des faits à charge, avec très peu de qualités de rédemption. Par contre pour les US, tout est fantastique. L’autrice expose deux ou trois paragraphes qui font de caution pour qu’on n’ait pas la sensation de lire un livre totalement dévoué à la suprématie morale américaine. Une phrase exprime de regrets pour la violence quotidienne faite aux noirs en US, tandis que deux ou trois paragraphes expriment que PARFOIS des choses mauvaises arrivent aussi dans les États-Unis. Et c’est tout. Tout le livre distille l’idée que les États-Unis est un pays supérieur et l’Inde est une buse de proportions colossales. Même parfois les personnages utilisent leur nationalité (« I’m an american citizen ») pour s’en sortir des situations difficiles, comme dans ces vieux téléfilms d’espionnage de jadis.
Étonnamment, dans la deuxième partie du livre, Umrigar fait une dénonciation de ces occidentaux qui sélectionnent les histoires d’Inde qui reflètent la pauvreté, la violence, le sexisme, la saleté, le chaos, la corruption et la tristesse généralisée. Ce qu’on est venu appeler le ‘Poverty porn’. Sauf que l’autrice passe la plupart de son temps à tomber dans la même chose qu’elle dénonce.
Malgré un bon rythme et un très solide storytelling, l’histoire d’amour est surfée, l’approche totalement manichéenne, et le traitement du drame frôle la pornographie, en plus de la description simpliste de l’Inde et les États-Unis mentionnée plus haut. Seulement deux concepts semblent sauver les meubles dans ce roman. Tout d’abord, la fin, qui est mauvaise, mais moins pire que cela aurait pu. Sans spoiler, je dirais qu’on a évité le pire pamphlet américain à la dernière seconde, même si le dénouement est quand même décevant.
L’autre point plus positif est Mohan. C’est le seul personnage qui a un vrai arc dramatique, un voyage émotionnel qui relie la narration, et finalement nous dévoile une image un peu plus nuancée de l’Inde, qui contraste contre l’image de pays pourri à laquelle l’écrivaine s’attache inlassablement. Et non, ce n’est pas seulement Smita qui a cette image négative du pays parce qu’elle est femme et parce qu’elle a un passé, c’est clairement l’idée de l’écrivaine aussi. Je pense que l’écrivaine avait l’idée de faire pour Smita un arc narratif de passage de la haine du pays à l’amour, mais à mon avis c’est raté. Le regard sur l’Inde reste totalement paternaliste et arrogant.
Puis, pour un livre qui est censé être féministe, l’image de la femme indienne est assez limitée et monolithique. Autre Meena, elles sont toutes si superficielles ? Réellement on ne peut pas leur apporter un peu plus de nuance ? C’est cela l’image que l’écrivaine a de la femme indienne ? Bon, c’est clair que c’est un livre adressé à un publique américain, et il suffit de lire les commentaires des citoyens indiens dans les forums pour réaliser que le travail de recherche fait pour le livre est quand même bancal. Certaines émeutes de Mumbai sont placées en 1996 dans le roman, mais plutôt ils semblent clairement évoquer le climat de 1992. Peut-être elle a improvisé pour garder cohérence de la timeline, mais elle a été journaliste quand même ! L’état actuel des orphelinats en Inde, même si bien sûr pas impeccable, est-aussi méprisable qu’elle laisse voir ? Et aussi, l’obsession des hindous pour la conversion des musulmans, tel que décrite dans le livre, est-elle une idée réaliste ? Etc… etc… Beaucoup des faits décrits dans le livre semblent quand même douteux, et rajoutés pour créer du drame.
Peut-être c’est parce que j’ai un lien personnel avec ce pays, mais je suis assez blessé par un livre assez irresponsable qui est cependant encensé par la critique américaine. Triste. Pas de traduction française pour l’instant au moment d’écrire ce critique (2023).
Citation :
« (…) elle était devenue un symbole de la vielle Inde intemporelle, un pays ravagé par l’ignorance, l’analphabétisme et la superstition, gouverné par des hommes qui ont versé des gouttes du poison de la haine communautaire sur un peuple qui a confondu revanche avec honneur, et soif de sang avec tradition. » (Traduction improvisée)
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