(بوف کور, Bouf-e Kour, 1936)
Traduction : Roger Lescot. Langue d’origine : Persan
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Un homme vivant dans la marge de la société, regarde le monde autour sur le prisme d’une obscure obsession. Personnages étranges, présences surréelles vont croiser notre protagoniste, qui, enivré par des parfums d’opium va sombrer de plus en plus dans l’irréel.
Poe + Dalí :
Hedayat ne voulait pas trop diffuser son roman en Iran, car à l’époque aurait sans doute causé un grand scandale, par la teneur morbide, érotique et peu orthodoxe du récit. Une première édition artisanale vit le jour en Inde, puis la première édition européenne, celle de Roger Lescot en Français, qui contribua à le faire connaître dans les cercles surréalistes de l’époque, malheureusement quelques années après que l’auteur ait mis fin à ses jours.
Ce roman fantastique est divisé en deux parties assez distinctes. Dans la première, aux allures d’une histoire extraordinaire d’Edgar Allan Poe, un personnage solitaire, habitant dans une maison isolée, se trouve happé par les yeux d’une femme, qui voit de partout, mais elle disparaît au grand désespoir de notre protagoniste. Puis elle réapparait dans sa propre maison avec les yeux fermés. Il s’en suit un récit glauque et morbide, de grand pouvoir de suggestion. Du grand Poe.
Dans la deuxième partie on retrouve peut-être le même protagoniste à un autre moment, probablement avant. Il est possible qu’il soit son père, son fils ou bien quelqu’un d’entièrement différent. On le voit marié à une femme qui le méprise, mais vers laquelle il sent une passion dévorante qui l’obnubile. Petit à petit il va clairement sombrer dans les abymes de l’irréel, plongeant dans une espèce d’extase onirique. Dans cette partie aux allures Daliniennes, les personnages se dupliquent : Sa femme odieuse, qu’il appelle ‘garce’, sa mère biologique connue comme la bayadère, ou la femme aux yeux fascinants, semblent finalement être différents visages de la même personne. La même personne qui va se trouver dessinée sur le vase, sur la tapisserie. Une atmosphère angoissante grandit, l’ambiance s’obscurcit, les ombres cernent la chambre, qui semble devenir un sépulcre. Du grand Dalí.
Vous l’avez compris, on ne va pas chercher la logique à un roman clairement surréaliste, mais malgré ce côté très étrange et impénétrable, Hedayat a pris un soin très marqué pour donner des repères, des ports d’ancrage d’un monde plus logique. Le lecteur ainsi, retrouvera plusieurs fois, parsemés dans le récit, des symboles, des images qui se répètent d’une histoire à l’autre. Un ancien vase qu’on trouve enterré, va apparaître plus tard dans un autre contexte, l’image de la femme aux yeux fascinants apparaîtra sur le vase aussi. Chaque fois qu’on évoque la bouche d’une femme, on nous renvoie à un goût amer de trognon de concombre. Tant et tant d’images qui sont déclinées le long du roman : La bouteille de vin envenimé, le boucher, le cyprès, le vieux avec son rire étrange, les vers de terre, les lucarnes, soupiraux et fenêtres qui font face à un autre monde, le brouillard d’opium permanent.
Parfois, on dirait même que le personnage se regarde à soi-même dans un autre corps, une autre version de lui-même. Toutes ces symétries narratives qui nous renvoient d’un coté à l’autre du roman finissent pour le doter d’une grande cohérence, malgré l’atmosphère onirique et l’hermétisme obscur de l’œuvre.
Étrange roman dont il est difficile parler objectivement. Un des classiques iraniens du XXe siècle. Roman bien bizarre, à vocation clairement surréaliste mais qui garde une logique interne assez réfléchie.
Citation :
« Tout ce que je ressens, tout ce que je vois et tout ce que j’évalue, n’est-ce pas un songe inconciliable avec la réalité ? »
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