(Rodnik Egnar, 1935)
Traduction : Lily Denis. Langue d’origine : Arménien
⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Gumri, Arménie. Le maître fontainier Mkrtitch finit sa quarantaine fontaine, la tâche qui s’était marqué depuis ses débuts est accomplie, et il se prépare pour la fin de ses jours. Il s’en souvient alors de l’époque où il est tombé amoureux de la belle Héghnar. Elle sera sa fidèle et soumise épouse jusqu’à que, à son tour, elle tombe amoureuse de Varos, un homme plus jeune qu’elle. Ces amours interdits vont se dérouler dans le quartier turc de la ville, décor de la tragédie qui se prépare.
Tragédie shakespearienne en Arménie :
‘La fontaine d’Héghnar’ est un des classiques arméniens par excellence. Paru en 1935, ce drame amoureux en plusieurs actes, transpose une vielle légende arménienne au début du siècle, dans une ville, Gurmi, où cohabitent arméniens, turcs et grecs dans une fragile harmonie, régie par des strictes normes qui cloisonnent et marquent les limites entre chaque communauté, tout rapport et mixité étant limité à des salutations cordiales minimes. Lorsque Héghnar et Varos, arméniens se cachant parmi des turcs, franchissent ces lois immuables avec leur amour interdit, ce n’est plus un simple adultère qui est en jeu, c’est la rupture d’un délicat équilibre social, vieux des siècles.
Le rôle attribué aux femmes dans cette société est très restreint, peu des libertés leur sont permises, elles sont traitées comme des mineurs, leur avis jamais demandé pour son propre mariage. Mkrtitch, le mari d’Héghnar, aime sa femme, mais ne s’en soucie guère de savoir si elle l’aime en retour, son mariage avait tout simplement été arrangé par autrui. Le caractère et les sentiments du personnage d’Héghnar resteront dans le flou, le lecteur va regarder cette tragédie se dérouler depuis la perspective du mari et de la société qui découvre le drame.
Dans cette tragédie aux allures Shakespeariennes, la punition et destin funestes des amours illicites de Héghnar semblent inévitables et personne ne réagit ou s’indigne contre ce manque de liberté criant. Même l’écrivain lui-même semble ne prendre aucun parti, il se limite à décrire la situation sans forcément en faire une critique des faiblesses de nos sociétés, comme sans doute aurait fait Shakespeare s’il aurait traité ce sujet. Le ressenti d’Héghnar ne sera absolument pas décrypté, le personnage sera peu humanisé, et restera distant par rapport au récit. Du coup, le livre, comme la société qui dépeint, ne semble pas s’intéresser aux femmes en elles-mêmes et nous offre une vision unidimensionnelle du drame. L’écrivain ne juge pas Héghnar, mais ne fait pas grand-chose pour avancer des arguments qui puissent faire comprendre son côté de l’histoire. Cette tragédie semble avoir mal vieilli, en restant comme un récit édifiant avec peu des nuances.
Le style solide et dramatisé de Mkrtitch Armen donne un souffle presque héroïque à cette histoire, mais vers son dénouement tout semble tomber à plat. Peut-être son auteur ne put pas aller plus loin, l’Arménie étant alors sous le domaine soviétique, et un contrôle strict des publications était de mise. Après plusieurs romans publiés, Mkrtitch Armen finit par fâcher les autorités soviétiques, et fut déporté en Sibérie pendant quelques années. ‘La fontaine d’Héghnar’ resta son roman le plus populaire.
Citation :
« La vie du maître était de bout en bout éclairée par exactement quarante flambeaux, quarante fontaines pures et impérissables qui en avaient tant dit et qui diraient tant encore sur l’auteur, qu’ils ne laisseraient pas s’effacer de la mémoire des hommes ni son œuvre ni son nom. »
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