(博士の愛した数式 Hakase no aishita sūshiki, 2003)
Traduction : Rose-Marie Makino-Fayolle. Langue d’origine : Japonais
⭐⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Japon, 1992. Une jeune aide-ménagère est embauchée chez un ancien mathématicien dont la mémoire est limitée à quatre-vingt minutes, suite aux conséquences d’un accident de voiture survenu une vingtaine d’années auparavant. Chaque matin le vieux professeur, ayant oublié son existence, entame le même rituel de présentation à travers d’étranges questions mathématiques comme ‘Quelle est votre pointure ?’ ou ‘Quelle est votre date d’anniversaire ?’. Il garde des innombrables notes accrochées à sa veste pour s’en rappeler des faits essentiels de sa vie, et très vite l’aide-ménagère aura droit à sa propre note.
À la demande du professeur, pour pas le laisser seul dans leur maison, elle invite son enfant de dix ans à aller les soirs au pavillon en sortant de l’école. Petit à petit, malgré le handicap du professeur, une tendre amitié se tisse entre les trois personnages, basée sur les mathématiques et la beauté des nombres, ainsi comme la passion commune par le baseball et le rituel des repas à la maison.
Huit-clos humaniste bercé par le côté ludique des nombres :
Magnifique roman en tout simplicité, narré avec un style extrêmement sobre, sans aucune fioriture stylistique ni langage recherché, qui nous parle de la mémoire et de l’obsession pour garder une trace de notre passé.
Malgré en être présentes tout le long du roman, les mathématiques ne sont pas vraiment un thème en soi, mais plutôt un système de communication, qui, par son caractère immuable et absolu, permet un lieu d’ancrage dans l’univers perpétuellement en rénovation du professeur. Avec sa patience et sensibilité, sans jamais le bousculer, la jeune femme trouve les codes qui gèrent l’univers du professeur. Grâce aux nombres et leur beauté, le vieil homme trouve ses repères et devient capable de communiquer de façon profonde et d’établir une tendre relation d’amitié.
Le roman est rempli de formules mathématiques, curiosités numériques, et jeux arithmétiques qui ne doivent pas effrayer le lecteur. Tout est soigneusement vulgarisé pour accéder à une compréhension simple. Le lecteur pas trop calé en maths comme moi, se rangera à côté de la femme aide-ménagère, et découvrira au même temps qu’elle l’univers fascinante des nombres, grâce à la pédagogie et la patience du professeur. Petit à petit, les numéros tissent des amitiés, se sentent seuls, se retrouvent, s’isolent, tout un jeu dansant qui va fasciner le lecteur par sa simplicité et originalité. Ogawa introduit des concepts mathématiques qui pourraient être barbants, mais qui grâce à leur caractère ludique, deviennent très attachants.
Un peu comme dans une pièce de théâtre, presque toute l’intrigue se déroule dans le pavillon deux pièces de l’écrivain, avec seulement trois personnages centrales. Un huis-clos très touchant avec ces trois personnes disparates, trois générations et sensibilités différentes, reliés par une tendre amitié, soulignant la soif de communication de l’être humain malgré toutes les difficultés. Parmi la numérologie, le livre offre des belles réflexions sur le côté abstrait de l’amitié, la rémanence du passé, et le caractère solide de la parentalité. Belle réussite.
Citation :
« Chaque matin, lorsque réveillé, il s’habillait, le professeur se voyait annoncer la maladie dont il souffrait grâce à la note qu’il avait lui-même écrite. Il se rendait compte que le rêve qu’il avait fait un peu plus tôt n’était pas celui de la veille, mais de la dernière nuit d’un lointain passé où il avait encore de la mémoire. Il était terrassé en apprenant que son moi de la veille était tombé dans un gouffre de temps dont il ne remonterait jamais. Le professeur qui avait protégé Root d’une balle perdue était déjà mort au fond de lui-même. Je n’avais jamais réalisé que jour après jour, tout seul sur son lit, le professeur continuait à recevoir cette cruelle déclaration. »
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