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Le beau juif

Ali al-Muqri

(Al-Yahûdi al-hâli, 2011)
Traduction :   Khaled Osman, Ola Mehanna.   Langue d’origine : Arabe
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Sanaa, Yémen XVIIe siècle. Salem, un enfant juif de douze ans, travaille comme maçon dans la maison du mufti. La jeune et érudite Fatima, la fille du mufti, fascinée par la beauté du garçon et par son ouverture d’esprit, décide de lui apprendre la lecture et l’écriture en arabe, textes sacrés à l’appui. Entre le deux petit à petit s’installe une complicité que, en grandissant, deviendra amour. Sauf que dans la ville cosmopolite de Sannaa les communautés se respectent mais ne se mélangent pas. La situation se complique et vire progressivement au scandale.

Hymne à la tolérance avec Roméo juif et Juliette musulmane :

Si vous tenez à éviter spoilers, évitez complètement de lire synopsis et quatrièmes de couverture. Pour une raison inconnue pour moi, ces écrits dévoilent presque la totalité de l’intrigue de ‘Le beau juif’. Ce ne sera pas le cas ici.

Ce merveilleux roman nous offre une très belle histoire d’amour, façon Roméo et Juliette, entre deux êtres de communautés très différentes, qui bien sûr vont voir le chemin de leur amour semé d’une multitude d’obstacles. Leur relation est basée sur un principe de tolérance et respect mutuelle : Ni elle doit arrêter d’être musulmane ni lui d’être juif. Entre eux, en opposition à la société qui les entoure, tout est acceptation de l’autrui.

Donc avec ce principe assez honorable, l’histoire de leurs amours se développe d’une façon progressive, bien construite, baignant le roman d’un sentiment très poétique qui ne touche jamais les facilités narratives et évite habillement les lieux communs et le sirupeux. Les deux personnages principaux sont solides, contrastés et bien différenciés, et c’est du même pour les personnages secondaires impliqués, que souvent vont représenter un positionnement ou un autre face au conflit des amours interdits entre Fatima et le ‘beau juif’.

Le roman navigue habillement dans ces idées assez progressistes de respect entre religions sans jamais tomber dans la leçon morale. Mais c’est qui est encore plus moderne, c’est le parti pris très féministe, d’attribuer au personnage féminin la supériorité intellectuelle et morale, et d’attribuer au personnage masculin le rôle du suiveur dans le couple. C’est elle qui va instruire le beau juif. C’est elle qui prendra les décisions. C’est elle le moteur de l’action. La femme sera le phare qui guidera la vie entière de l’homme. Salem, le personnage masculin, est souvent décrit par sa beauté physique (« le beau juif »), tandis que chez Fatima ces attributs physiques ne semblent pas importants en comparaison à son intelligence et érudition. Elle sera même plus âgée que Salem. On est dans un renversement complet du cliché de la belle jeune fille qui tombe amoureuse du héros et le suit dans son parcours actif.

Le contexte historique du roman est bien immiscé dans le récit, sauf un petit chapitre récapitulatif historique vers la fin du livre, aux objectifs pédagogiques plus marqués. Le Yémen du XVIIe siècle est alors traversé par une vague de persécution des juifs, qui va altérer tout un équilibre délicat gagné pendant de siècles de cohabitation entre communautés. Le livre peut sembler naïf à premier abord par la simplicité de ses idées, mais quand on creuse un peu, on voit que l’auteur réfléchit très intelligemment sur la notion d’appartenance, qu’est-ce que cela veut dire d’être juif ou d’être musulman. Al-Muqri propose plusieurs interprétations selon le contexte géographique, culturel ou historique, pour finalement se positionner clairement par une identité définie par les sentiments au-delà de toute autre considération.


Citation :

« Pour elle toutes les terres se valaient, de même que tous les êtres humains qui les arpentaient. »

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