(Pūkkul̲i, 2013)
Traduction : Emmanuelle Ghez (Aniruddhan Vasudevan). Langue d’origine : Tamoul
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Kattuppati, village tamoul dans le sud de l’Inde. Le mariage entre Kumaresan et Saronja, réalisé dans la clandestinité de leurs familles, est une union entre castes. Le jeune couple d’amoureux débarque du bus, pour s’installer dans le village de Marayi, la mère de Kumaresan, femme veuve qui habite toute seule dans une maison sur un rocher. L’accueil qu’ils reçoivent dans le village sera glacial et agressif, et personne ne leur croit quand ils essayent de faire passer Saronja par quelqu’un de leur caste. Leur relation intra-castes ne sera jamais accepté dans le village et la belle mère de Saronja ne semble prête à faire aucune concession. Pendant que Kumaresan est absent pour lancer un petit négoce de vente de boissons rafraichissantes, sa mère Marayi passe toute la journée à pester contre Saronja, coupable de tous les maux selon elle. Dans cet environnement hostile, Saronja se sent complètement isolée et désemparée.
Caste, caste et caste :
Aucun doute, le système de castes est au centre de ce récit qui dénonce cette pratique ancestrale, officiellement interdite, mais malheureusement encore d’actualité, notamment dans les campagnes indiennes. L’amour de Kumaresan et Saronja fleurit dans la ville de Tholur, où un avenir radieux semble les attendre. Mais dès qu’ils débarquent au village enclavé de Kattuppati, le panorama change et la vie du couple devient un véritable enfer. La narration fait des allers-retours entre l’horrible présent du couple ostracisé au village et le doux souvenir des leurs premiers jours en amoureux à Tholur. Cette comparaison entre la campagne et la ville, permet Murugan de dénoncer sans ambages la mentalité rétrograde qui reine dans l’Inde profonde des contrées reculées.
C’est un roman dur et dramatique. Peu des notes d’espoir sont apparentes dans les pages de ‘Le bûcher’, et cependant l’histoire est narrée avec un réalisme lucide et très convaincant. Tandis que le naïf Kumaresan s’entête à croire que tout va se calmer, et que sa mère et le reste du village vont finir pour les accepter, Saroja, par amour ou peut-être par soumission, hésite à demander à son mari de quitter le village, malgré qu’elle réalise clairement que c’est la seule issue possible.
Les personnages sont très solides, notamment les deux portraits féminins : Saroja par sa lucidité et ses hésitations qui contrastent avec la facilité avec laquelle son mari calmera toutes ses craintes avec l’innocence de son amour. Puis Marayi, la mère de Kumaresan, personnage qui sera sans doute détesté par le lecteur, mais qui présente d’une façon très réaliste les enjeux de la narration. Le dilemme de cette femme qui préférerait renoncer à son fils plutôt que faire face à la violence et le harcèlement dans son village est une des clés de l’œuvre.
Beaucoup de lecteurs seront sans doute horrifiés de réaliser à quel point est impensable d’accepter une personne étrangère à leur caste dans cette communauté. L’injustice sociale et la stricte rigueur de ce système d’isolement totale entre castes est probablement très difficile à comprendre pour un lecteur occidental, mais le réalisme et finesse avec lequel le sujet est traité nous permet de saisir en bonne partie sa complexité, tout en continuant à trouver abjecte l’injustice et la misère moral qui s’en découle. C’est une œuvre puissante, intense et narrée avec brio et classe. Avec le titre de ‘Le bûcher’ le lecteur devrait forcement se préparer pour le drame. C’est vraiment brutal, mais sans jamais tomber dans un excès de pathos.
Il n’existe pas de traduction française directe de ce roman écrit en Tamoul. L’édition en français est une traduction de la traduction anglaise de Aniruddhan Vasudevan.
Citation :
« Saroja avait l’impression d’être une plante qu’on avait arrachée à sa terre d’origine pour la replanter sauvagement ailleurs. Ses racines sauraient-elles s’adapter à ce sol étranger ? »
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