Littérature des 5 continents : AsieInde

Le guide et la danseuse

R. K. Narayan

(The guide, 1958)
Traduction : Anne-Cécile Padoux. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Fraichement sorti de prison, Raju prend ses quartiers dans un temple abandonné. Très vite, les paysans habitués du temple voient en lui quelqu’un de spécial et en feront leur ‘Swami’, une sorte de guide spirituel. Malgré ses réticences initiales, Raju finit pour s’y trouver dans son nouveau rôle et s’y prête au jeu, surtout qu’ils lui apportent régulièrement de la nourriture et des cadeaux.

En parallèle ses souvenirs vont nous plonger dans son passé et les évènements qui lui avaient conduit en prison. Notamment lors qu’il connut Rosie, une femme mariée qui rêve d’être danseuse. Raju s’approche du couple pour leur proposer leurs services de guide touristique. Fasciné par la jeune femme et la danse dans laquelle elle exécute un numéro de serpent, il envisage d’entamer une relation avec elle pendant les absences du mari.

Guide touristique / guide spirituel :

Malgré ce titre français qui souligne la relation entre les deux personnages principaux, l’axe du roman (en anglais tout simplement ‘The guide’) est en réalité la double casquette du protagoniste masculin, guide touristique par le passé, guide spirituel par le présent. Le roman joue à fond sur ce contraste entre ces deux facettes : La vénération présente des adeptes du temple qui voient en lui leur gourou, et d’un autre côté, l’égoïsme, le calcul et l’attitude vaniteuse de son passé. On connait le personnage à deux étapes différentes de sa vie et cela sert à Narayan comme à base pour développer le sujet de la possible rédemption. Pour bien explorer le thème, le présent de Raju est écrit à la troisième personne par un narrateur omniscient, mais tous les chapitres qui se déroulent dans son passé seront narrés à la première personne, ce qui nous permettra de plonger dans ses pensées, être témoins de ses nombreuses faiblesses et comprendre donc ses erreurs, sans pour autant les justifier.

Car le personnage principal au moment de la rencontre avec la danseuse, motivé par l’ambition, la vanité, la jalousie et aussi quelque part l’amour, ne suscitera pas facilement l’empathie du lecteur ; tandis que le même personnage à sa sortie du prison, beaucoup plus nuancé et complexe, même si toujours un peu baratineur et calculateur, interpellera plus facilement. Du coup lors des chapitres ‘flashback’, le lecteur se positionnera par rapport à l’ensemble du personnage et ce qu’il connait de son futur. Et dans le futur on assistera touchés à ce faux ‘swami’ qui se fait prendre à son propre jeu (voir citation).

La danseuse elle-même est un personnage nuancé, bien défini et intéressant, notamment par ses hésitations, ses ambitions artistiques et son besoin de s’affranchir des hommes de sa vie. Dans ce sens le roman a un subtil ton féministe qui n’est pas fréquent dans la littérature indienne d’après la partition, et qui ne passe pas inaperçu. Narayan était un fan invétéré de la littérature anglaise et avait lu autant Dickens que Thomas Hardy, dont les influences sont notoires, notamment dans les portraits féminins.

C’est un magnifique roman, porté par une structure très solide avec cette double narration qui s’entremêle de façon brillante, écrit avec un langage simple et sans fioritures, mais d’une redoutable efficacité et rythme. Narayan écrivit la plupart de son œuvre en anglais et il fut à son époque un des auteurs le plus populaires de son pays.


Citation :

« Il était fasciné par sa propre voix et à voir, dans la pénombre, tous ces visages enfantins tournés vers lui tandis qu’il parlait, il se sentait pénétré de son importance. Personne n’était plus impressionné par la grandeur de la scène que Raju lui-même »

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