Littérature des 5 continents : AsieMalaisie

Le jardin des brumes du soir

Tan Twan Eng

(The Garden of the evening mists, 2012)
Traduction :   Philippe Giraudon.   Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Malaisie années 80. Après une carrière judiciaire de renom à Kuala Lumpur, Teoh Yun Lin, juge de la cour suprême spécialisée dans des crimes de guerre, prend sa retraite et rentre dans la région montagneuse de Cameron Highlands, où elle avait vécu 30 ans auparavant.

Les souvenirs de son passé reviennent : Après la deuxième guerre mondiale Yun Lin cherche un moyen d’assouvir le rêve de sa sœur décédée pendant la guerre, lorsque toutes les deux étaient prisonnières des japonais pendant l’invasion de la Malaisie. Yun Lin entreprend de construire un jardin de style japonais à la mémoire de sa sœur, et pour ce faire elle deviendra l’apprentie de Nakamura Aritomo, jadis jardinier de l’empereur japonais, qui vit dans cette région reculée, consacré depuis des années à la construction d’un jardin unique : Yugiri, Le jardin des brumes du soir.

Le jardin de la mémoire :

Le deuxième roman de Tan Twan Eng après ‘Le don de la pluie’, est une œuvre très poétique, remplie d’émotion et de douleur en toute retenue, qui bagne dans une atmosphère envoutante. Le rythme est souvent posé et contemplatif, mais les personnages, les mystères, le développement narratif, et les subtils rebondissements permettent au lecteur de rester saisi par cette épopée riche en mystère et fascination.

Le roman a une certaine complexité dérivée de la subtilité de sa narration et des trois périodes dans lesquelles l’action se déroule. Les années 80 marquent la retraite de Yun Lin et son retour au jardin Yugiri, avec l’éclosion de ses souvenirs. Ses réminiscences nous mènent à l’époque de l’insurgence communiste aux années 50, où les principaux évènements du roman et la relation entre Yun Lin et Aritomo auront lieu. Une troisième ligne temporaire se déroulera plus tôt, pendant la deuxième guerre mondiale, avec Yun Lin et sa sœur prisonnières des japonais dans un champ de concentration perdu dans la jungle malaise. Cette partie donne la toile de fond nécessaire pour comprendre les traumatismes et les dynamiques émotionnelles qui répercuteront autant dans les années 50 que dans les années 80.

‘Le jardin des brumes du soir’ est riche en contenu historique, et même si pour la plupart le roman explique suffisamment du contexte pour que le lecteur lambda ne se perde pas, c’est recommandable de se documenter un minimum sur l’histoire de la Malaisie entre la colonie britannique, l’invasion japonaise lors de la deuxième guerre mondiale et le double période d’insurrection communiste qui finit par déboucher dans l’indépendance du pays. Le Japon, le Royaume Uni, la Malaisie, et la Chine (Yun Lin, comme Tan Twan Eng est d’origine chinoise) jouent tous un rôle plus ou moins importante dans cette histoire.

La thématique centrale du roman est sans doute la rémanence de la mémoire. Pour développer ce sujet, Tan Twan Eng propose multiples métaphores et symétries narratives entre les différents périodes, reliées à la restitution des souvenirs et à la disparition dans l’oubli (voir citation). En quelque sorte, tous les éléments présents dans le livre (Le jardin, le tatouage, le héron, le Alzheimer, le deuil…) nous renvoient inlassablement à cette thématique. Comme le commentaire sur la déesse de la mémoire Mnémosyne et sa sœur, la déesse de l’oubli, dont on a évidemment oublié le nom et le visage. Au centre du récit, le jardin des brumes du soir, témoin et gardien de la mémoire, se dessine comme un personnage à part entière.

La traduction française est aussi connue sur un autre titre : ‘Le chant du héron au crépuscule’, mais il s’agit bien du même roman. Malgré quelques longueurs et un rythme parfois morose, ce livre est un petit bijou d’atmosphère et sensibilité. Envoutant.


Citation :

« Nous sommes les seuls qui restent de ces jours flétris. (…) Les deux dernières feuilles qui se tiennent accrochées à la branche, en attendant de tomber. En attendant que le vent nous emporte dans les airs. »

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