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L’équilibre du monde

Rohinton Mistry

(A fine balance, 1995)
Traduction : Françoise Adelstain. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Bombay, années 70. Dina Dalal, une veuve de 40 ans essaye de s’affranchir de l’emprise de son frère autoritaire et vivre de façon indépendante. Pour ce faire, elle a installé un atelier de couture dans son appartement de location et, en parallèle, loue une chambre à un étudiant, Maneck Kohlah, fils d’une ancienne copine d’études et appartenant à une famille plus aisée. Dina engage deux tailleurs, Ishvar Darji et son neveu Omprakash, issus d’une classe défavorisée, pour l’aider à donner suite aux commandes qui se cumulent.

Ces quatre personnages conforment un rendez-vous improbable de classes sociales et horizons divers, tandis que l’état d’urgence décrété par la première ministre Indira Gandhi, a accentué les inégalités et installé un climat propice à la violence et la cruauté contre les plus démunis.

Saga presque familiale dans un pays à la dérive :

Roman-fleuve absolument époustouflant que je recommanderais à n’importe qui qui aime tout simplement lire, quel qu’il soit son type de lecture préférée, tellement brillant et percutant me semble ce récit. Autant par la force imparable de l’histoire et ses personnages, comme par la réflexion et les idées qui véhicule, et surtout l’humanisme sincère et honnête qui se dégage de ce livre unique.

‘L’équilibre du monde’ se structure d’une façon très simple, autour des quatre personnages principaux. Ils sont présents dès le début de l’histoire, mais pendant la première partie du récit on va dédier un long chapitre à chacun des quatre personnages pour expliquer comment ils sont arrivés dans cet appartement, et embarquer le lecteur dans le point de vue de chaque personnage. La richesse littéraire qui se dérive de cette multiplicité de points de vue est une des clés de la qualité indéniable de l’écriture de ‘L’équilibre du monde’.

Le grand talent de Mistry est de nous offrir un récit qui met en scène les castes le plus défavorisés de la société indienne (mendiants, sans abris, intouchables et victimes diverses de l’esclavage moderne) avec énormément de sensibilité et compassion, mais en restant très réaliste et factuel, sans jamais tomber ni dans la pitié ni dans le pathos. Mistry réussit à achever un récit parfois cru, mais absolument authentique et touchant, sans tirer des ficelles dramatiques faciles. Des flots de tendresse et d’émotion sans la moindre larme facile.

Les sujets du livre sont très divers. Le plus marquant est celui des classes sociales et leurs différends. La loi qui abolit le système de castes a été approuvée mais dans la pratique rien ne semble changer. Souvent les plus défavorisés sont traités comme des moins que rien, comme du bétail. Lorsqu’on applique la politique d'”embellissement” de la ville, des bidonvilles sont détruits par des bulldozers, et des sans-abris sont kidnappés sans gêne pour effectuer des travaux forcés. Des milliers d’êtres humains disparaissent avec la connivence du pouvoir en place sans que personne réagisse. La police a des pouvoirs élargis et tout s’achète. C’est chacun pour soi. La jungle. La vie humaine perd tout valeur, et c’est dans ce climat aberrant de violence et de déni de justice qu’on assiste à l’inexplicable soumission des faibles et à la cruauté abominable de ceux qui ont le moindre pouvoir.

Le livre propose aussi une réflexion sur la générosité et l’entraide dans des temps difficiles. Dina est un personnage qui a tellement bataillé pour avoir sa maigre indépendance qui hésite à montrer la moindre gentillesse, par peur de perdre le peu qu’elle a. Cela vient plus naturellement pour le plus jeune et insouciant Maneck, certainement aidé par son statut plus privilégié. Les deux tailleurs n’ont rien, et n’attendent rien, et même ce rien qui n’ont pas est mis en danger par la situation social qui se déroule après l’état d’urgence et l’abus de pouvoir absurde qui s’acharne sur les miséreux. Ces quatre personnages vont évoluer au fur et à mesure, et tisser ensemble un équilibre complexe lors de leur cohabitation improbable.

Malgré tous ces sujets qui peuvent sembler lourds, ne vous découragez surtout pas : Le ton du roman, avec sa finesse dépourvue de pathos, est très lumineux et donne lieu à une lecture très agréable. Ce livre touchant nous montre l’être humain dans toute sa misère mais aussi dans toute sa splendeur.


Citation :

« Si le temps était une pièce de drap, j’en couperais tous les bouts abîmés. Je trancherais les nuits effrayantes et je raccorderais les bons morceaux pour rendre le temps supportable. Alors, je pourrais le porter comme un manteau, et vivre toujours heureux. »

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