(Banat al-Riyadh, 2007)
Traduction : Simon Corthay, Charlotte Woillez. Langue d’origine : Arabe
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Sur la formule des e-mails hebdomadaires, une jeune fille raconte la vie de ses quatre copines, Sadim, Gamra, Michelle et Lamis, leur quête de l’homme idéal, et leur combat pour la liberté de vivre pleinement leurs désirs et illusions, dans une société qui les opprime et que limite tous leurs choix. Déterminées à trouver l’amour, le vrai, ces quatre jeunes femmes vont essayer d’aller de l’avant et vivre leurs vies pleinement.
Sex in the Saudi City :
‘Les filles de Riyad’ est un livre qui surprend et interroge. Incroyablement osé pour la critique sans demi mesure de la société saoudienne qui dépeint, le roman reste cependant très attaché à l’amour de son pays, et à une sentiment religieux sain et positif malgré tout. Les attaques contre l’injustice de la situation de la femme dans le pays sont justes, directes et francs, mais jamais violents ni revanchards. Ces filles-là ne sont pas des rebelles, ce sont juste des jeunes filles (il ne faut pas oublier leur jeunesse, car elles sont simples adolescentes au début du livre) qui n’ont pas d’autre intérêt que vivre l’amour avec plénitude, comme n’importe quelle autre jeune fille dans une autre partie du monde. Or, selon les meurs d’une bonne partie de l’Arabie saoudite, la femme est inférieure à l’homme et doit se soumettre à lui, et l’amour est inutile et dangereux. Bien sûr, nos héroïnes ne sont pas d’accord, mais elles doivent composer avec leur réalité. Heureusement qu’il y a internet pour élargir leurs perspectives.
Car ce récit prend une forme pseudo épistolaire à travers des e-mails envoyés à un nombre croissant de lecteurs avides d’une nouvelle publication chaque vendredi. Le livre donne une image très positive d‘internet et des nouvelles technologies, comme à instrument de changement sociale et comme à voie pour la recherche de l’indépendance et la liberté. En évitant les jugements, sous la protection de l’anonymat virtuel, notre narratrice bouge les lignes et fait avancer la cause des femmes.
Le livre fut édité au Liban, pour essayer une distribution en douce en Arabie saoudite, mais il fut très vite persécuté. Les éditions du livre étaient rachetées en masse pour les mettre hors circulation et piétiner leur distribution. Malgré tout, il circula de façon clandestine, jusqu’à se convertir en un des livres le plus lus et commentés du pays. Quelque temps après, la version anglaise est distribuée timidement mais sans plus de soucis. Le scandale dans la société bien-pensante et rétrograde d’une certaine partie du pays, est majuscule car le roman brise tous les tabous imaginables sur la femme saoudienne. Donc on ne peut que saluer et applaudir le courage de ce cri de liberté qui, comme Alsanea elle-même souhaitait, nous arrache d’un coup tous les clichés qu’on puisse avoir sur l’Arabie saoudite, entre l’érotisme raffiné des 1001 nuits et l’horreur du terrorisme de Bin Laden et compagnie.
Le féminisme de ce livre est sans doute extraordinaire pour le pays d’origine et aussi pour 2007 (date de publication), mais à l’échelle international actuel la lecture féministe du roman est un peu plus mitigée. Car même si le sujet du récit est les relations hommes-femmes, en réalité ces quatre filles au caractère bien marqué ne semblent pas avoir d’autre vraie ambition que trouver l’amour, au point que ces jeunes femmes semblent se décrire uniquement en relation aux hommes. Chaque fois que dans le livre une des filles semble trouver un chemin d’épanouissement personnel, très vite un homme apparaît et nous ramène à nouveau à cette subordination narrative.
Exemples : Lamis va faire des études universitaires poussés, mais dès qu’on la voit dans une voie d’indépendance, très vite apparait un nouveau centre d’intérêt romantique, et le point se fait sur l’homme et pas sur la carrière de médecine. On est ravi quand Michelle décide de vivre selon ses ambitions, sauf que on apprend dans le paragraphe suivant que en réalité ses ambitions sont d’apparaitre en couverture d’un magazine avec Brad Pitt ou Johnny Deep. Sadim passe d’une option romantique à une autre sans vraiment prendre aucun seconde pour trouver qui elle est vraiment. Quant à Gamra, la plus conservatrice, tout est dit par elle-même : « Basiquement je prendrais n’importe quel homme, peu importe qu’il soit propre ou crasseux, bien rangé ou désordonné. On s’en fout tant qu’il soit là. Je suis prête à être heureuse avec n’importe quel homme. »
Donc à mon avis le féminisme de ‘Les filles de Riyad’ est un peu désuet, et il me fait penser énormément à celui de la série ‘Sex in the city’ (1998-2004), claire inspiration de ce roman (même une des filles en parle à un moment donné). Comme dans ‘Les filles de Riyad’, dans la série américaine la quête de liberté de ces quatre filles new-yorkaises passait inlassablement par le rapport avec un homme, soit-il sexuel ou amoureux. Je dis cela comme a fan invétéré de la série culte, mais la réalité est que la perspective de la femme présentée dans la série HBO est loin de celle qui déboucha vingt années plus tard dans le me too.
Comme dans ‘Sex in the city’, la structure est jusqu’à un certain point similaire, quatre filles qui cherchent l’amour (dans le sens large du mot), sans vouloir se soumettre aux lois prévues pour elles. Pour ceux qui connaissent la série, on pourrait dire que Salim se jette dans l’amour avec toute sa passion et ses hésitations, comme ferait Carrie Bradshaw. Lamis aura une vision plus pragmatique et cherchera son indépendance à travers ses études universitaires, comme aurait pu le faire Miranda Hobbes. Michelle veut vivre sa vie comme elle l’entend sans subir les jugements de personne, comme ferait Samantha Jones. Et la naïve et soumise Gamra, rêve toujours d’un prince charmant, riche de préférence, qui lui permettrait d’atteindre une position sociale confortable, comme Charlotte York ferait. Je ne sais pas si les fans de la série et lecteurs/lectrices du livre arriveront aux mêmes associations que moi, mais les parallélismes sont clairement là.
Comme nos quatre héroïnes new-yorkaises, Sadim, Gamra, Michelle et Lamis sont plutôt riches et font partie d’une upper class saoudienne. Si vous vouliez connaître la réalité des femmes battues, esclavagées et ignorées qui peuplent les villages et les banlieues des villes saoudiennes, vous serez déçus, car ce n’est pas du tout l’objectif de ce livre. ‘Les filles du Riyad’ nous parle des relations hommes-femmes dans une certaine Arabie saoudite, qui non par plus bourgeoise n’est pas moins réel. Le livre met en avant des jeunes femmes d’un milieu aisé et moderne, avec des maisons à Londres, des études aux US et des connaissances parmi le star-system français. C’est chic à la saoudienne.
On aurait souhaité connaître un peu plus des ambitions individuelles de ces filles, au-delà de leurs rêves romantiques et leur quête de l’homme idéal, mais c’est quand même un très bon roman, qui se lit avec facilité et plaisir par son côté touchant à la fois que très entertaining.
Citation :
« Notre problème ici c’est que nous laissons que les hommes deviennent beaucoup plus importants que ce qu’ils sont en réalité. »
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