Littérature des 5 continents : AsieSyrie

Les portes du néant

Samar Yazbek

(Bawabât ard al-adâm, 2016)
Traduction : Rania Samara. Langue d’origine : Arabe
⭐⭐

Ce que raconte ce récit journalistique :

Pendant la guerre civile qui a secoué la Syrie à partir de 2012, la romancière et journaliste Samar Yazbek, exilée en France depuis 2011, rentre clandestinement dans son pays d’origine, à trois reprises. Elle n’hésitera pas à sillonner les enclaves les plus dangereux d’un pays complètement dévasté, pour dénoncer les affreuses conséquences du régime de Bachar El-Assad sur la population syrienne. Yazbek témoigne aussi de l’évolution de la révolution et ses dérives lorsque le djihadisme s’infiltre et l’État islamique s’étend sur les territoires libérés, menaçant de remplacer une dictature par une autre encore plus meurtrière.

Récit poignant et courageux dans un pays dévasté :

Difficile de classer, ‘Les portes du néant’ est un récit journalistique, assez factuel, qui suit le parcours de la romancière lors de ses trois entrées clandestines en Syrie en 2012 et 2013. Il n’y a pas des partis pris littéraires ni de la vraie narration, elle décrit ses déplacements incognito dans un pays en démolition, interviewant des agents et des chefs de la révolution, des Émirs des factions de l’État islamique ou des simples citoyens syriens. C’est une collection de évènements et témoignages organisés chronologiquement, sans y attacher la moindre réflexion, décryptage ou analyse.

Bravant tous les interdits, face aux dangers inimaginables, l’écrivaine se place au centre du conflit. Elle tient absolument à nous présenter les faits décharnés, sans fioritures stylistiques, car ce qui se passe est terrible et il faut en témoigner de façon crue et authentique. La terrible menace sur la condition féminine, les dérives du régime d’Assad, ainsi que l’horreur de l’État islamique, sont relatés à la première personne. De ce point de vue, on ne peut que saluer sa démarche, car Yazbek dût partir en exil en 2011 par les menaces du régime, et ses entrées clandestines supposaient évidemment un risque majeur pour sa personne.

Ce qu’il est raconté est fort et poignant en soi, notamment la désillusion des rêves, lors que la révolution se corrompt progressivement, dérivant en guerre de religions. Mais certains lecteurs peuvent comme moi, être déçus par le côté littéraire ainsi que par le côté journalistique du projet. Samar Yazbek ne propose aucun fil conducteur, aucune évolution ou développement, aucun décryptage. L’exil et le déracinement sont les seuls concepts qui me semblent un peu plus traités par l’autrice. Aucune démarche pédagogique n’accompagne non plus l’œuvre.

Si vous n’êtes pas calés en histoire du monde Arabe et de la Syrie en particulier, vous ne trouverez pas ici des précisions sur les différentes factions impliquées, qui pourraient apporter les nuances nécessaires pour comprendre la complexité du conflit. Un glossaire de deux pages à la fin du livre déploie un peu les concepts de base et je recommande totalement de le lire AVANT d’entamer le livre. L’affrontement entre sunnites et alaouites (branche chiite à laquelle appartient la famille El Assad, ainsi que Samar Yazbek elle-même) est au cœur du conflit, mais autre ce concept basique, rien de tout cela n’est développé de façon compréhensible pour un lecteur moyen.

Personnellement je trouve que l’autrice s’obstinait tellement à rester objective dans un récit que lui prend évidement aux tripes, que le résultat final est une œuvre littérairement froide, narrativement chaotique, et journalistiquement peu développée. Malgré cela je finis pour saluer encore une fois le témoignage et m’incliner devant le courage de l’écrivaine.

Au moment d’écrire ce critique (2024), la famille Assad a quitté le pouvoir et l’avenir de la Syrie s’annonce incertain.


Citation :

« Ce ne sont que quelques protagonistes de l’une des plus grandes tragédies du XXIe siècle. Leurs souffrances sont la preuve bouleversante de la faillite morale de l’humanité. Ils se sont engagés dans la révolution avec des rêves de liberté et de justice. Ils ont payé de leur sang leur rêve avorté. Ils sont les enfants de cette grande épopée syrienne que je n’oublierai jamais. »

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