Littérature des 5 continents : AsieThaïlande

Letters from Thailand

Supa Sirisingh (Botan)

(Chotmai Chak Muang Thai, 1969)
Traduction : Chotmai Chak Muang Thai. Langue d’origine : Thaï
⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Le long d’un bon nombre de lettres écrites entre 1945 et 1967, Tan Suang U raconte sa vie en Thaïlande à sa mère restée en Chine. Après une complexe épopée, le jeune Tan Suang U arrive à Bangkok où il commence une nouvelle vie. Grace à son courage et son habilité pour le commerce, il réussira à se frayer un chemin, et à former une famille. Avec le temps l’homme vieilli et peine à s’adapter aux nouveaux temps.

Tradition versus modernité :

Ce roman épistolaire se structure donc autour des lettres de Tan Suang U, écrites à sa mère restée en Chine. Elle ne répondra jamais, mais son fils continuera à lui écrire toute la vie jusqu’à ses vieux jours. En réalité, ce dispositif est simplement une ruse qui permet à la romancière de décrire la vie du Tan Suang U, façon journal de bord, mettant en lumière sa psyché, ses doutes et ses dilemmes. Le personnage de la mère ne participe donc pas du récit si ce n’est pas pour incarner cet univers plus solide et traditionnel qui doit s’opposer au nouveau monde qui entoure et isole le narrateur.

Le roman a quelques éléments autobiographiques, Supa Sirisingh, plus connue comme Botan, étant née dans une famille d’origine chinoise. Elle connait bien le contraste entre ces deux cultures, un des axes du roman. Le protagoniste et narrateur de l’histoire arrive en Thaïlande à la fin de la deuxième guerre, et dans ses réflexions, il est très critique des mœurs qui respire la capitale thaïe, trop modernes à son goût, notamment en relation au plus traditionnel environnement qu’il avait connu lors de sa jeunesse dans la campagne chinoise. Une bonne partie des lecteurs thaïs bouda ce roman, par les clichés de la société thaï qui véhicula (fainéants, pas sérieux, délurés), malgré que l’évolution du personnage le long du roman ne laisse de doutes : Tan Suang U est simplement un homme bourré de préjugés, qui s’accroche aux valeurs de la tradition, malgré qu’autour de lui un nouveau style de vie semble s’installer pour de bon.

Cet accueil mitigé n’empêcha pas le roman de devenir un petit classique, et il est probablement le livre thaïlandais le plus connu et publié. Mis à part ce contraste entre les sociétés thaï et chinoise, le sujet central est la relation entre la tradition et la modernité. L’évolution des mœurs, les droits des femmes, la liberté, l’éducation, sont décortiqués au fur et à mesure que les années passent et notre protagoniste voit toutes ses certitudes s’ébranler. Notamment au sujet de l’évolution des droits des femmes, notre protagoniste va mettre du temps à comprendre ce qu’il aurait dû être évident à ses yeux, et ce seront ses propres filles qui deviendront le moteur de ce changement.

Un peu comme dans ‘Les années’ d’Annie Ernaux, toute une époque et ses mœurs sont décortiquées. Mais tandis que le roman d’Ernaux propose une vraie réflexion à la portée sociologique, le roman de Botan reste trop souvent anecdotique sur l’évolution sociétale. L’achat d’une nouvelle voiture, une télé, une sortie au cinéma, occupent certains chapitres du roman, sans rajouter pas grand-chose à la narration. Le roman devient plus intéressant quand il s’attache à nos protagonistes eux-mêmes, à ses petits bonheurs, ses erreurs et ses misères. Ils ont tous autant des failles que des vertus, et de ce fait le roman est très peu manichéen et très perspicace à niveau psychologique. Malgré que certains chapitres soient donc plus intéressant que d’autres l’ensemble se lit avec une facilité désarmante grâce à un storytelling très dynamique et prenant.

Letters from Thailand’ propose une très belle radiographie de l’immigration chinoise en Thaïlande au milieu du 20ème siècle, au même temps qu’il nous fait réfléchir sur la relève générationnelle et l’éternel débat entre le poids de la tradition et l’évolution qu’accompagne la modernité.


Citations :

« Je reconnais que le monde a changé, Meng Chu. Il ne sera plus jamais comme il était lorsque j’étais confortable dedans. »

 

« Tu sais, ma génération est différente de celle de mon père dans un détail important : Nous nous préparons pour affronter le monde tel qu’il est, pas comme nous croyons qu’il devrait être. » (Traductions improvisées)

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