(Reading Lolita in Tehran, 2003)
Traduction : Marie-Hélène Dumas. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐
Ce que raconte ce roman autobiographique :
Le livre est une sorte de mémoire de la vie de l’écrivaine et professeure Azar Nafisi depuis son retour en Iran après des études aux États-Unis, et son travail comme professeure de littérature étrangère à l’université de Téhéran à partir de 1979, en plein début de la révolution islamique. S’ensuit son expulsion de l’université pour ne pas vouloir porter le voile, puis son retour à une autre université, Allameh Tabatabei, après maintes années d’hésitation. Finalement, éloignée définitivement de l’ambiance universitaire Iranienne, elle décide de diriger un book club chez elle avec quelques-unes de ses élèves les plus intéressées. Toutes ses mémoires sont entrelacées avec des discussions littéraires qui ont marqué son existence dans cette époque cruciale de l’histoire de l’Iran.
La littérature comme lumière dans un monde obscur :
‘Lire Lolita à Téhéran’ est un témoignage à charge contre l’obscurantisme et la vision rétrograde de la femme, pendant et après la Révolution Iranienne et le régime de l’Ayatollah Khomeini. Nafisi utilise la littérature étrangère (principalement écrite en anglais) comme à moyen de réflexion. Malgré la justesse de son écriture et sa thématique très intéressante, il y a quelques redondances et longueurs, et surtout un certain manque de développement dramatique des personnages, qui font de ce livre une petite déception. Trop d’autobiographie et peu de narration littéraire à mon sens. Comme un ami de Nafisi dit dans les propres pages du livre : « On n’a pas besoin de tes vérités, sinon de tes romans. Si tu es un peu douée, peut-être tu pourras y rajouter quelques gouttes de vérité, mais épargne-nous tes vrais sentiments ». J’aurais aimé qu’elle suive ce conseil.
Le livre se structure, selon les lectures littéraires de l’autrice et ses étudiants, en quatre parties : Dans ‘Lolita’ Nafisi a renoncé à son dernier poste à l’université et forme un book club avec 7 étudiantes intéressées, et beaucoup des premières discussions se centrent sur l’œuvre de Nabokov. Dans ‘Gatsby’ on revient quelques années arrière dans le temps, avec Nafisi qui commence ses cours à l’université de Téhéran où beaucoup des discussions tournent autour du sentiment antiaméricain qui s’incarne dans la prohibition de l’œuvre de Scott Fitzgerald. Sa réflexion sur l’american dream et sur l’adultère sont considérés toxiques par le régime. Dans ‘James’ Nafisi hésite à mettre le voile islamique pour reprendre son métier de professeure de l’université, lorsqu’une fausse sensation d’ouverture du régime semble s’installer après les interminables années de la guerre avec l’Iraq. Dans ‘Austen’, Nafisi retrace le rôle de la femme (sexualité et amour inclus) dans la société iranienne à travers de l’œuvre de Jane Austen, principalement ‘Orgueil et Préjugés’, lors des dernières années du book club qu’elle mène à la maison.
Le livre propose une réflexion très intéressante sur la société iranienne lors des années d’obscurantisme qui ont suivi la chute du régime des Shahs, et offre le point de vue de la femme dans la vie quotidienne face à toute cette triste absurdité. Le retour en arrière et la perte de toute une série de libertés sont critiqués et montrés dans ses aspects le plus ridicules : Porter de vernis à ongles est un crime, applaudir lors d’un concert une faute impardonnable, un cheveu qui dépasse du voile obligatoire peut entrainer un séjour en prison, ou pire. L’émancipation de la femme iranienne dans la république islamique est donc, un des thèmes principales, symbolisé par cette double personnalité de la femme, enfermée à l’extérieur dans son voile intégral, libéré à l’intérieur dans l’intimité des maisons.
Malgré toutes ces très bonnes intentions, le roman raconte vraiment peu sur les personnages impliqués, et les portraits psychologiques sont plutôt faibles. Jusqu’au bout de ce trop long roman j’ai confondu ces 7 femmes qui assistent à son book club, tellement peu définies sont pour la plupart. Le problème vient de que le livre se centre principalement sur l’écrivaine elle-même : Nafisi en est omniprésente : sa parfaite intelligence, sa réputation sans tâche, ses qualités incomparables… il n’y a qu’elle qui existe vraiment dans le livre. Sans spoiler, vers les dernières 50 pages du livre, Nafisi semble se rendre compte qu’il y a d’autres personnages autour d’elle et d’un coup se consacre à en fin développer dramatiquement les émotions des femmes du book club, mais personnellement j’ai trouvé que cela était un bon effort produit trop tard.
Un autre gros hic est le parallélisme que Nafisi veut tracer entre les lectures des œuvres de la littérature et les évènements de son vécu. Dans l’état, il semblerait que les livres dont on parle, n’ont pas vraiment de relation métaphorique avec l’histoire qu’on raconte, notamment les œuvres de Henry James. Elle essaie de trouver des passerelles entre la fiction et la réalité, mais pour la plupart cela semble forcé. Peut-être la meilleure allégorie se réussit avec le rôle de la femme dans l’œuvre de Jane Austen, qui à son tour permet de réfléchir sur le rôle de la femme dans la République islamique. Je pense que dans un livre moins autobiographique on aurait choisi beaucoup mieux chacune de ces lectures pour bien les mettre en lien avec les évènements de la narration.
Heureusement j’avais lu presque tous les livres dont Nafisi parle dans son roman. Attention, comme à bon professeur d’université qui s’en contrefiche du lecteur lambda, Nafisi spoile sans aucun état d’âme tous ces romans. En particulier : ‘Lolita’ de Nabokov, ‘Gatsby le magnifique’ de Fitzgerald, ‘Daisy Miller’ et ‘Washington Square’ de Henry James, et ‘Orgueil et préjugés’ d’Austen. Soyez prévenus.
Pour ceux que, comme moi, préfèrent lire les livres plutôt que les étudier, et l’ambiance d’analyse scolaire dans les universités littéraires les a toujours agacés, alors vous n’êtes peut-être pas le lecteur cible de ce roman. ‘Lire Lolita à Téhéran’ est sans doute un livre intéressant mais partialement raté par ces disgressions qui deviennent longueurs et ces références littéraires hors contexte, et épuisant par l’égocentrisme de son autrice et son érudition un peu barbante.
Citation :
« Vivre dans la République islamique, c’est comme coucher avec un homme qui te dégoûte. »
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